02 janvier 2013

Festival « Lire en Polynésie »: découverte d’une littérature, et d’une culture vive

Retour sur un bel évènement de fin 2012. C’est une expérience tout à fait saisissante à laquelle je fus convié, cette première semaine de décembre: « Lire en Polynésie » à Papeete. Un salon du livre rassemblant une trentaine d’auteurs et d’illustrateurs, adultes et jeunesse, venus de Polynésie, de Nouvelle-Calédonie, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, de France.

 

Il y avait là Patrick Deville, Sébastien Lapaque ou l’écrivain-traducteur David Fauquemberg, venus de France. Il y avait l’éditeur Christian Robert, des Editions Au vent des îles, ou Nicolas Kurtovicth, rencontrés en juin à Saint-Malo ; il y avait Cathie Manné et Christophe Augias, acteurs du livre en Nouvelle-Calédonie. Il y avait là des auteurs comme Patrick Chastel, Français de l’hexagone arrivé en Polynésie en 1973, amoureux de l’archipel, jamais reparti des Iles Marquises depuis. Il y avait une « société savante » (la Société des Etudes Océaniennes), les éditeurs, les libraires, le public… et la pluie. Début décembre, c’est le plein été en Polynésie, mais c’est aussi le début de la saison des pluies. A l’exception du tout premier, pas un jour sans un bon orage. Mais malgré tout, l’édition 2012 accueillit pas loin de 6 000 visiteurs (chiffres organisateurs), de nombreuses personnes de passage aussi bien que les fidèles de circonstances.

 

Papeete

 

Ici, lorsqu’on marche, on se fait doubler par une fille qui fait son jogging, ou par un homme qui porte ses pagaies et court s’en servir sur une pirogue amarrée au port. Papeete est une ville bruyante, grouillante, attrayante, suffocante aussi, qui ne l’emporte pas par sa beauté, mais une ville très plurielle où l’on est vite imprégné d’une énergie troublante.

Les Polynésiens ont dix-sept langues, réparties sur les cinq archipels et cent dix-huit îles. Quand ils parlent français, ils se l’approprient et le transforment, un peu comme les Brésiliens avec le portugais. Ils créent une autre langue. Avec les « r » qui roulent, cela donne comme une langue d’oiseaux, surtout lorsqu’elle sort de la bouche de ces véritables femme-fleurs –car presque toutes les femmes ont ici une fleur dans les cheveux.

 

Le salon

« C’est une grosse affaire que ce petit village », dit Christian Robert dans son discours inaugura, ce jeudi 6 décembre. Très tôt, dès neuf heures du matin, le centre névralgique du festival, organisé autour d’une place ronde abritée par les arbres, était rempli. Car l’été, ici, le soleil est à son apogée dès cinq heures du matin, et tout le monde se lève. Les commerces ouvrent à sept heures du matin, pour fermer à dix-sept heures. Et Robert de poursuivre :

Personne n’a à rougir à Tahiti de ce qui y est produit

Avec quarante nouveautés par an, dont vingt-cinq dans les six derniers mois qui étaient représentées à Lire en Polynésie, la production de fictions est, pour l’organisateur,

plus importante que le nombre de nouveautés en France, en proportion de la population

Son but, comme éditeur comme en tant qu’organisateur, est de

faire que le secteur de l’édition soit dynamique

C’est pourquoi il avait crée, en 2001, une Association des Editeurs de Tahiti et des Îles, afin « de fédérer les éditeurs pour la promotion du livre, mais aussi fédérer les déplacements au Salon du Livre de Paris et à celui de l’Outremer ». Cette même année vit la création de « Lire en Polynésie », avec le Maori Alan Duff (vu cette année à Saint-Malo) comme seul invité extérieur.

Des invités de « l’extérieur », il y en a chaque année ici :

On aime avoir des auteurs de Nouvelle-Zélande, d’Australie, des auteurs maoris, samoans, des îles, parce que c’est une grande famille, et ils répondent à tous les gens d’ici

 

Cette année, le thème était le voyage, et il fallait plus d’auteurs venus d’ailleurs. Avec un budget de 60 000 euros qui ne permet d’embaucher qu’une personne à plein temps pendant trois mois, il était plus aisé d’attirer, à Tahiti, en cette période de l’année, des auteurs de l’hexagone.

Résultat :

Un public très divers : des Polynésiens, des Chinois, des Français, des gens d’ici ou des gens de passage. Un événement ouvert à tous, car le livre n’a à priori ni barrière ethnique ni barrière sociale

Résultat aussi : des tables rondes de plus en plus denses à mesure que le festival avançait.

 

L’enjeu : créer une littérature polynésienne

 

« Editer un livre en Polynésie est compliqué, car nous ne sommes pas réputés grands lecteurs », fut-il dit durant un de ces débats. C’est que nous sommes ici dans un endroit du globe où le passage de la culture de l’oralité à celle de l’écrit est maintenant en fin de cycle. Cela pose le problème de la transmission des légendes, qui avaient toujours été transmises en danses, en chants, en contes, en récits de voyage. De la transmission, et de la langue pour transmettre. Cela pointe aussi le rapport entre les générations. Pour Patrick Chastel, devenu professeur d’Histoire à son arrivée aux îles, et auteurs de livres pour adultes et pour enfants :

Il n’y a plus trop de transmission. D’abord, les jeunes ne s’y intéressent plus [aux légendes, ndla], et ensuite les anciens rechignent à les transmettre. Une chape de plomb catholique et protestante les ont diabolisées, et c’est devenu tabou. Il faut absolument que l’écrit arrive à prendre cette place, ce rôle. Car il faut que des gens autres que les « Popaas » [littéralement : « Peaux blanches », ndla] se les réapproprient

C’est ici tout l’enjeu dont s’est saisie la Société des Etudes Océaniennes, une « société savante » fondée en 1917, dont son président Fasan Chong (dit Jean Kape) précise qu’elle

s’est souciée très tôt d’écrire l’histoire de la Polynésie française ; de l’Océanie, à travers toutes les disciplines des sciences humaines.  Nous avons une des plus grandes bibliothèques du pays (environ 100 000 ouvrages). Nous éditons des bulletins, mais aussi nous rééditons des ouvrages, comme les dictionnaires de toutes les langues des archipels

Pour Christian Robert :

On n’en est plus là. Ça a laissé des traces, mais c’est fini. Le problème, c’est de trouver le moyen pour notre civilisation  de tradition orale de s’approprier l’écrit. La solution serait d’allier l’écrit, l’oral, la danse. Pourquoi le modèle serait-il le texte et uniquement le texte, comme en Occident ? On a des textes, même si ici aucun auteur ne vit de son travail –à part Chantal Spitz, retraitée de l’Education nationale, la seule à pouvoir se permettre une vraie démarche d’écriture

Chastel de pointer :

J’ai bon espoir qu’on parvienne à créer une littérature polynésienne. La référence est évidemment les Antilles, avec tous les grands noms qu’on connaît, ou encore la littérature africaine

C’est là tout l’enjeu, aussi, du travail des Editions Au vent des îles, découvertes à Saint-Malo cette année, avec des auteurs comme Chantal Spitz, Nicolas Kurtovitch, le témoignage sublime de Nathalie Heirani Salmon-Hudry, née handicapée à vie, ou bien encore Déwé Gorodé, l’ancienne vice-présidente du gouvernement néo-calédonien.

 

Une culture vive

J’ai déjà dit et écrit à quel point les festivals littéraires faisaient de la littérature un art vivant, le temps de quelques jours. C’est infiniment vrai pour « Lire en Polynésie », qui parvient, en un film et deux débats, à faire intervenir les aventuriers du projet « Fa’afaite », aventure aussi bien humaine qu’écologique et historique. Qui fit donner « Pina’ina’i », mise en scène de textes ahurissante portant précisément sur la rencontre de la tradition et de la modernité, de toutes les îles, et des cultures de l’oral et de l’écrit pour se faire entendre de tous les mondes. Comment ne pas pleurer quand, pour conclure le spectacle, un homme s’avance, s’adressant à lui, au monde et à son peuple en disant :

Avance vers ton avenir, avance vers l’homme qui commence à t’écrire

Il est des festivals littéraires qui, lui, font avancer. Lire en Polynésie est de ceux-là. La date de l’édition 2013 n’est pas encore fixée, mais vous pouvez la guetter !

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