17 mars 2013

«Impurs», le nouveau David Vann : la mort lui va si bien

Il avait été prix Médicis étranger 2010 à la surprise générale avec « Sukkwan Island », puis un des évènements de la rentrée 2011 avec « Désolations ». Son nouveau livre paraît en France au moment des dernières neiges de l’hiver.

 Du nature writing au drame familial

«Impurs» en scotchera plus d’un. La fournaise du soleil californien sous lequel cuit ce psychodrame familial est aux antipodes des neiges alaskiennes de «Sukkwan Island», et de la nature claustro et menaçante de «Désolations». Quand ce dernier portait des couples à ébullition, « Impurs » met une seule et même famille su le grill. Ici, point de « nature writing », genre littéraire qu’avait accroché Vann. Ce nouveau roman est un drame psychologique.

Nous sommes en 1985, l’époque des cassettes dans les walkmans. A Carmichael, banlieue de Sacramento, en plein cœur de la Vallée Centrale de Californie. Galen est un jeune homme de vingt-deux ans, qui vit avec sa mère dans la vieille demeure familiale. Une mère qui s’attache à faire revivre un passé familial idéalisé, et étouffe son garçon d’amour oppressant. Bref, Galen est un fils à maman, qui ne sort jamais de chez lui. Ce qui lui laisse le temps de lire « Siddartha » pour la centième fois, en écoutant « le non-vent, le calme ».

 

Au non-vent répond le « non-soi », dans lequel le jeune homme se réfugie, tiraillé qu’il est entre la masturbation sur les pages du magazine Hustler et un retrait du monde nourri de Hermann Hesse, Carlos Castaneda, ou Khalil Gibran.

C’est alors qu’arrive le feu. Dans les désirs de Galen. Un incendie sensoriel dû aux cuisses de sa cousine Jennifer, dix-sept ans. Des cuisses couleur pêche, une peau lisse, une jupe ultra-courte qui met en évidence la culotte bleu clair.

Elle avait dix-sept ans et il la reluquait discrètement depuis au moins quatre ans, insoutenable

 

Depuis trois ou quatre ans, la vie de Galen avec sa mère est rythmée par les visites régulières de la tante, de la cousine allumeuse, mais aussi de la grand-mère dont la mémoire défaille. Et dont tout le monde convoite l’héritage. Pour Galen, qui erre dans cette vie-là alors qu’il rêve d’aller à l’université, le monde est, en attendant que sa famille en ait les moyens,

Un immense déluge où rien ne s’arrêterait jamais. Impossible à contrôler, impossible à contenir

 

La famille à la centrifugeuse

 

Vanna  allumé le feu. Chez Galen, dans la famille, et dans une demeure familiale plus proche de la cabane que du pavillon de classe moyenne. Nous sommes ici chez les poor white trash les plus purs, comme le reconnaîtra le jeune homme lui-même. La revanche est à tous les étages : sœurs se haïssant, cousine de plus en plus incestueuse, mère de plus en plus infantilisante. Ici, la revanche ira jusqu’à enterre quelqu’un vivant, mais laissons au lecteur le soin de trouver qui sera à chaque extrémité de la pioche.

 

A défaut d’avancer dans sa vie, Galen subit les cours d’éducation sexuelle de sa cousine, ce qui est toujours bon à prendre pour lui. « Impurs » alterne entre la transcendance, la vengeance, et la folie, pour le plus grand emportement du lecteur. Comme dans ses deux précédents livres, Vann n’hésite pas, une fois la folie de chacun bien campée, à écrire des scènes de plus en plus dingos, noires, meurtrières. On y croit à peine, on pose le livre pour se frotter les yeux, pour s’apercevoir le reprenant que c’est bien « ça » qu’on lit. Qu’on n’y croit pas. Que ça nous scie, nous exulte et nous emporte. Des scènes issues d’un cerveau imbibé de Fitzgerald, Faulkner, Hitchcock et des frères Coen réunis.

 

Après la figure du père dans « Sukkwan Island », le thème de la famille et du couple dans le suivant, c’est ici la figure de la mère, et plus largement de la figure féminine dans la famille, qui est passée à la centrifugeuse.

(Voir l’extrait de l’interview vidéo, que j’avais réalisée en 2011 pour Rue89)

 


David Vann, l’Alaska, le nature writing 2/3 par rue89

 

Dans une noirceur infinie, aux moyens d’une écriture aussi simple et visuelle que son sujet est ardu, Vann ne manque pas d’humour. Car en fait, son sujet ici comme précédemment, est en fait… la transcendance. Par rapport à nos déterminismes (la famille, le comportement social, l’image en société) comme, bien sûr, par rapport à soi. D’où « Siddharta ». Pour Galen, la transcendance est fait d’un rapport aux rivières, aux truites, aux rumeurs étouffées des forêts, à

La surface de l’eau toujours en mouvement, la lumière jamais immobile, évoluant en motifs. C’était ce qu’avait vu Siddhartha. Le courant de l’eau emportait le soi, l’attachement, et les formes dessinées à la surface laissaient découvrir le visage de toute chose. Chaque désir, chaque douleur, tout prenait forme l’espace d’un instant, un jeu de lumière, puis se dissolvait. C’était en observant l’eau que l’on rêvait, que revenait en mémoire le tiraillement de nos précédentes incarnations, et que l’on se languissait de notre forme véritable, au-delà de ce corps, au-delà de cette incarnation au-delà de ce monde d’illusions

 

Du naturalisme au psychologique

 

Précédemment, la noirceur de David Vann était d’un naturalisme aux accents lynchéens, mettant en lien les tourments psychologiques des personnages aux tourments d’un environnement par les hommes maltraité. Il avait montré une préoccupation littéraire aux antipodes de la sensiblerie parfois surlignée dans le genre du « nature writing ». La mort est toujours au centre des histoires d’un auteur qui, ici, a su la faire passer de la terre (la nature) à l’idée (vengeance, transcendance).

Montrant, comme il l’avait fait dans « Désolations » (que j’avais pour ma part nettement préféré à «Sukkwan Island », dont l’éditeur français avait fait un roman alors qu’il s’agissait d’une novela qui, aux USA, était parue de « Legends Of A Suicide », recueil de nouvelles thématique où chaque histoire se composait autour du drame qui façonna son auteur), qu’il a une haute idée des idées.

 

 

Impurs de David Vann, trad. de l’américain par Laura Derajinski, Gallmeister, 286 p, 23,10 euros
A noter : reparution en format semi-poche de Désolations, dans la collection Totem de Gallmeister (330 p, 9.80 euros)

A noter :  David Vann sera, comme Ben Fountain et bien d’autres, un des invités de la prochaine édition d’Etonnants Voyageurs à Saint-Malo

 

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