08 avril 2013

Thatcher, c’était aussi du foot

« La reine est triste d’apprendre la nouvelle de la disparition de la baronne Thatcher », dit le communiqué de Buckingham. Chez d’autres, au nom et au souvenir de l’ancienne premier ministre britannique (de 1979 à 1990), on a toujours mis The Clash et les Sex Pistols à fond sur les platines. Margaret Thatcher, la Ronald Reagan européenne, l’importatrice de la révolution conservatrice et de la musculature ultralibérale sur le Vieux Continent, est décédée ce lundi matin.

En littérature contemporaine, la Dame de fer fut une cible de l’écrivain David Peace, après l’avoir été des groupes de rock suscités : par son libéralisme sans cœur (tétralogie du Yorkshire, constituée de « 1974 », « 1977 », « 1980 » et de « 1983 »), et par la façon dont elle brisa la grève des mineurs en 1984 (« GB 84″).

 

Un des fondements du foot-business

 

Mais il ne faudra pas oublier que « Miss Maggie » a une importance tout à fait considérable dans le football moderne. Oui, Miss Maggie est, indirectement, un de fondements du foot-business. Sans elle, le prix des places n’aurait pas augmenté dans les stades anglais. Sans elle, Rupert Murdoch n’aurait eu aucun intérêt, donc aucune envie, d’acheter les droits de retransmission des matches du championnat. En fait, sans elle, la Premier League n’existerait pas. Elle serait restée la première division anglaise, avec du kick and rush, de la baston, des hommes fiers, du foot cottage, de la pop culture. Une Angleterre rock, seventies, et éternelle.

 

Du foot cottage au foot business

 

Paradoxalement, pour ce que nous aimons de l’Angleterre, c‘est à-dire des week-end avec CR7, Fabregas, Drogba et Balotelli hier, Tevez, Hazard, Rooney, Bale, Van Persie, ManU et ManC aujourd’hui, c’est à Maggie que nous devions dire merci. Pour cette Angleterre du meilleur et du pire. Celle du foot et du business.

Comment tout cela est-il arrivé ? Quelques années après avoir guerroyé aux Malouines et contre les mineurs en grève, mais longtemps avant que Sarkozy et Hortefeux ne s’attaquent au problème en France, Miss Maggie déclara la guerre au hooliganisme, alors encore une spécificité anglaise.

 

En 1985, le Sporting Events permit d’incriminer l’ivresse, la consommation d’alcool, l’introduction d’objets dangereux (pétards ou fumigènes) dans les stades, et élargit le droit de fouille de la police. Le drame du Heysel sonna ensuite l’heure de la prise de conscience. Le Premier ministre britannique prit le problème avec autant d’ardeur qu’elle prenait tous les autres, et cela déboucha sur le Public Order Act (1986) relatif aux désordres et violences. Tout ce nouvel arsenal juridique rafraîchit celui de 1936, avant d’être à son tour amendé en 1994 : renforcement des dispositifs policiers dans et hors des stades, utilisation de la police montée et des chiens policiers, généralisation de la vidéosurveillance, grillages dans les tribunes, stratégie d’infiltration des groupes hooligans semblables à celle utilisée en Ulster contre l’IRA. Le hooliganisme se vit clairement criminalisé.
Le Football Spectator Bill de 1989 prévit même de n’autoriser l’accès au stade qu’aux spectateurs munis d’une carte d’identité informatisée, laquelle pouvait lui être retirée en cas de délit.
Cette activité judiciaire et policière se traduisit par des séries d’arrestations et procès spectaculaires, ainsi que de très lourdes peines (comme les dix ans de prison pour le leader présumé des Head Hunters de Chelsea en 1985), ou des peines alternatives à la prison pour les mineurs. Mais, comme à chaque fois que la carotte sécuritaire est brandie, la lourdeur des peines ne changea rien à la cause. C’est ce que vint brutalement rappeler le terrible drame d’Hillsborough, le 15 avril 1989, où quatre-vingt-quinze supporters de Liverpool trouvèrent la mort, écrasés par la foule. D’autant que la commission d’enquête, confiée au lord of Justice Peter Taylor, conclut dans son rapport (1990) que les supporters n’étaient pas les seuls coupables : la vétusté et l’insécurité des stades anglais étaient aussi en cause.

Ce rapport Taylor, conjugué à la lutte contre le hooliganisme, ouvrit la voie à un autre stade du football : le foot business. Puisqu’il allait falloir rafraîchir les stades, les prix des places seraient désormais plus chers, et tant pis pour le public populaire. Les incitations thatchériennes à transformer le football en industrie de loisir, couplées à cette mutation des enceintes, furent très chaudement accueillies par une nouvelle génération de partenaires et de patrons de clubs : industriels, mercenaires, oligarques, magnats de la presse. Ceux qui bientôt transformèrent les clubs en « Public limited companies » cotées en bourse, avant de métamorphoser les stades en salons à champagne et à hôtesses, puis de changer le football tout court.

 

L’Angleterre, navire amiral du foot business

 

La lutte contre le hooliganisme fut globalement une victoire, en Angleterre, et il faut la saluer. Mais, comme toutes les guerres modernes, elle donna in fine le pouvoir à la finance et aux mercenaires privés. C’est grâce à la mutation ici décrite que quelques années plus tard, en 1992, le magnat de la presse australien Rupert Murdoch, avec Sky Network et sa chaîne BSkyB, signa un contrat historique : 300 millions de livres, obtenant le droit de diffuser pour cinq ans certains matches de la première division anglaise. Le public populaire ne pouvait plus aller au stade des places chères ? Murdoch leur amènerait les matches. Provoquant bientôt, à son tour une scission toute libérale : la première division du Championnat anglais se sépara de la tutelle de la Ligue nationale, et devint la FA Premier League.

 

Si l’Angleterre devint le navire amiral du foot business, c’est aussi à Miss Maggie qu’elle le doit.

 

En 1986, le chanteur Renaud flaira assez bien le symbole de la politique sans cœur que menait la « Dame de fer » en s’inspirant de la révolution conservatrice venue des USA. Sa chanson « Miss Maggie » mit dos à dos barbarie libérale et barbarie hooligan.

 

 

* Cet article reprend en partie la fiche « Thatcher » du « DonQui Foot »

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