15 janvier 2014

«A coup sûr» : Delphine de Vigan ose et réussit la comédie

Pour Delphine de Vigan, une chose est sûre : cette nouvelle année est un nouveau chapitre. L’écrivain est devenue cinéaste, et en ce 15 janvier sort son premier long métrage. Et quel coup.

Pour débuter l’année –que je souhaite vivement bonne à tous les lecteurs du Pop Corner- quoi de mieux qu’une comédie intelligente, vivifiante, fichtrement bien dialoguée, aussi fichtrement bien joué ?

Tout cela est servi tout frais ici : « A coup sûr » est une diable de bonne surprise.

 

Surprise, car ce film est une comédie pure, écrite et réalisée par un écrivain dont les thèmes et les histoires ne jouaient pas la comédie : anorexie, harcèlement moral ou sexuel, SDF, bouleversements et suicides familiaux étaient dépeintes dans des romans marquants. Comment ne pas être marqué par « No et moi », « Les heures souterraines » et « Rien ne s’oppose à la nuit » ? Et, comment ne pas être, à fortiori, scié par ce premier film ? Dont le ton, les dialogues, l’histoire, les personnages sont du côté du réalisme, certes, toujours, mais au service du portrait loufoque, et de la démonstration par l’absurde.

 

Limace, sex-toy et « meilleur coup de Paris »

 

L’idée de départ est simple, et au centre de tous les métiers à l’heure actuelle : le culte de la performance. C’est dans cette voix qu’une jeune femme, la fraiche et belle Emma (Laurence Arné, même adjectifs), trace son avenir. Professionnel, mais aussi personnel et sexuel. A peine embauchée dans la rédaction d’un magazine –apparemment- économique, elle se met dans la peau d’une winneuse, veut couvrir tous les sujets et brûler les étapes.
Mais, à peine éconduite par un amant qui la compare à « une limace sous anesthésie générale », elle se persuade d’être nulle au lit, et se donne pour mission de devenir « le meilleur coup de Paris ». Elle se lance alors dans l’étude, puis la pratique avec un cobaye qui se mettra à rêver, des théories, des techniques d’approche, des lieux du sexe à Paris, et des figures du Kama Sutra. Elle a un cobaye, une coach, mais bientôt son étude de cas personnel croise ses sujets de travail… et ses collègues. Quiproquos, malentendus, catastrophes.

 


Au journal, son boss (interprété par Didier Bezace) lui donne les sujets « nobles », laissant à la meilleure plume du journal (jouée par un Eric Elmosnino tordant bien que surjouant légèrement) les sujets bas de gamme. Comme, par exemple, celui toujours racoleur des réseaux et l’industrie du sexe.

C’est sur ce terrain qu’ils vont se croiser, eux qui au bureau ne peuvent pas s’encadrer. Entre eux, cela devient une histoire à plusieurs nœuds, festival de quiproquos et rebondissements, de scènes hilarantes et de justes portraits de deux célibataires d’aujourd’hui. Pour les besoins de sa quête, la jeune femme espionne son collègue et fouille dans ses carnets, cherchant aussi bien l’adresse d‘un sexologue qu’un sex-toy ou, surtout, une formule magique ou un signe du destin. Fatalement, le collègue pense qu’elle veut le doubler sur son enquête, ce qui décuple sa hargne comme son plaisir.

 

(Voir la bande-annonce)


 

 

Des dialogues qui frappent et qui détendent

 

Si l’issue entre eux laisse peu de doutes au bout de peu de temps, si certains personnages sont lourds et prévisibles (le hardeur), l’intérêt de l’intrigue repose sur ses nombreux rebondissements. Qui sont autant de diversions, de scènes, d’études de thèmes ou de galerie de portraits : le frère et la belle-sœur (Valérie Bonneton qui se présente elle-même comme un avatar de la ménagère de moins de 50 ans), le stagiaire ; la prostitution estudiantine, le patron baveux et partouzeur ; la presse traditionnelle et son évolution hasardeuse vers le marigot des marronniers vendeurs, le culte de la performance appliqué à tous, les secteurs de la vie privée, et surtout l’image et l’estime de soi.

 

Souvent, ce genre de comédies, sur un milieu aussi ciblé que la presse, sont des défilés de clichés à gros klaxons, ou bien sont des films à codes qui ne laissent respirer ni le propos ni les personnages. Ici, ça respire. Car tout est simple. Le film n’a pas besoin d’accélérer, le rythme est serré mais bien posé.
« A coup sûr » est simple, et n’a pas besoin d’étaler. Chaque scène est finement dialoguée. C’est au cordeau, c’est imagé, ça fuse, ça frappe et ça détend. Vous n’oublierez pas les tirades du sexologue tel que campé par François Morel. Vous n’oublierez pas la tirade du stylo à plusieurs couleurs comme la lance Elmosnino.

 

 

Dans une comédie, le diable est dans les dialogues. Lorsqu’elle repose sur des quiproquos, on attend l’auteur au tournant. Quand l’auteur est un écrivain, le tournant peut vite déboucher sur une bretelle menant aux oubliettes, ou aux bêtisiers des télés.

 

Film léger et intelligent

 

Delphine de Vigan passant du roman à la caméra : au départ, c’était une surprise. A l’arrivée, c’est un changement de forme et de registre d’autant plus brillant qu’il était osé.

Delphine de Vigan avait vu un de ses romans porté à l’écran (« No et moi », par Zabou Breitman en 2010). Elle avait signé le scénario d’un film un brin pesant (« Tu seras mon fils » de Gilles Legrand, en 2011). Elle connaissait les enjeux, et a gagné le pari. « A coup » sûr, à tort considéré et promotionné comme un film pour nanas (quelle mauvaise idée de distributeur), est une comédie de mœurs, d‘entreprise, de société, et d’époque. C’est un film lourd-léger. Un film intelligent, qui met de bonne humeur en pariant sur la finesse. Bravo pour ce début d’année.

 

(Voir cette vidéo « Module Soirée Filles »)

 

Alors, bonne année !

 

A coup sûr de Delphine de Vigan
Avec Laurence Arné, Eric Elmosnino, Didier Bezace, Valérie Bonneton, Jérémie Lopez, Julia Faure, etc
Production : Epithète Films
Durée : 1h31. En salles le 15 janvier.

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