16 novembre 2014

«Foot et immigration» : le bleu multicolore et éternel de Cantona

C’est la grande semaine de l’immigration. Quelques jours après les surenchères de l’UMP, Canal Plus en offre une histoire footballistique. C’est « Foot et immigration, 100 ans d’histoire commune », ce dimanche à 20h50.

Après avoir été passeur et narrateur pour « Les rebelles du foot » (un deuxième opus est en préparation) et la belle série des « Looking for »,

Eric Cantona, s’il rempile dans ces deux rôles, est ici réalisateur ! Plus encore : il est un des témoins de son propre film, car il est directement concerné. Comme ces autres témoins qui parlent face caméra que sont Zinedine Zidane, Michel Platini, Basile Boli, Luis Fernandez, Jean Tigana, Roger Piantoni, Maryan Wisniewski, Cantona est fils d’immigré. Comme Raymond Kopa, qui s’exprime à travers des images d’archives.

C’est à ces fils, mais aussi à leurs pères, que ce film rend hommage

 

 

Une histoire

 

Débutant sur les deux buts de Zidane en finale de la coupe du monde 1998, le film démarre donc sur cette France qui assumerait (fiction) son identité black-blanc-beur (réalité). Sur des images la victoire des Bleus, sur ces souvenirs de « Zidane Président » au sommet de l’Arc de Triomphe, un supporter se réjouit ainsi :

Après le général De Gaulle, c’est la deuxième libération de la France

Une France qui aurait compris que les immigrés sont Français, qui aurait symboliquement compris sa dette : le parfum de rêve éveillé retomba en trois ans, et c’est le comédien Jamel Debbouze qui le dit très bien :

 

En 1998, tout allait bien, les Bleus avaient remporté la Coupe du Monde, les banquiers nous prêtaient de l’argent les yeux fermés, on pouvait faire des crédits sans problème. Et, putain, en 2001, le même banquier, il te regarde même pas. Je lui dis « J’ai rien à voir avec ça (les attentats contre le World Trade Center, ndla) moi ! Mais rien à faire, tu n’as pas la bonne tête

Trois ans, et une France du pouvoir qui regarde de deux façons opposées ce « corps étranger » dont elle eut besoin et dont elle ne veut plus. Un corps pourtant bien Français. A tout jamais.

 

C’est ce « à tout jamais » qu’illustre ce film, qui a le talent d’illustrer, par l’exemple du football, les différentes immigrations que connut l’hexagone au cours du XX » siècle.

 

L’immigration de travail d’abord : dans le Nord et dans l’Est de la France, l’équipe est allée trouver aussi bien d’anciens mineurs que des élus et… des joueurs. Ainsi, Raymond Kopa (lui-même ancienne « gueule noire ») et Maryan Wisniewski (dont on goûtera son récit de retour en France après la coupe du monde en Suède). Ainsi Roger Piantoni et, d’une génération suivante, Michel Platini lui-même. Tous parlent de ces cités entières habitées par leur communauté, sans que cela ne pose de problèmes. Une différence : la génération Piantioni-Kopa parle de discrimination des quolibets entendus (« polacks », « macaronis »), alors que Platini, qui évoque son père et son grand-père, dit :

On ne m’a jamais traité de rital, s’amuse Michel Platini, on vivait entre nous. On était heureux, on était chez nous en France. J’ai appris à parler italien quand j’ai commencé à jouer à la Juventus

On goûtera cette anecdote où on lui demanda, à la Juve, de changer de nationalité.
L’immigration des résistants politiques et des exilés, ensuite : elle concerne les parents de Luis Fernandez et d’Éric Cantona.

 

L’immigration post-indépendances, ensuite : jamais Jean Tigana n’avait ainsi parlé de son père libérant Marseille avec son régiment de tirailleurs, jamais il n’avait évoqué son père gaulliste pour toujours. Ce père qui, libérant une ville, y rencontre aussi une Française qui deviendra son épouse, et la mère de Jean. Plus tard, le moment le plus émouvant du film montre Smaïl Zidane, le père de (et aussi taiseux que lui), qui raconte comment il était arrivé en France en 1953, comment il décida de retourner dans son pays (devenu pays) en 1962, et comment en trois jours sa vie changea. A Marseille, aussi, quand il rencontra celle qui deviendrait sa femme, et elle aussi mère d’un futur champion. Où l’on se rend compte qu’il s’en est fallu d’un bateau, d’une Canebière, d’un instant et d’un regard pour que viennent au monde deux garçons sans qui la France n’aurait pas remporté l’Euro 84 ni le Mondial 98. Deux tournois qui, le destin étant aussi une logique, se déroulèrent sur le sol français.

Jean Tigana, Smaïl Zidane : deux moments très forts, et deux interventions qui à elles seules valent de regarder « Foot et immigration, 100 ans d’histoire commune ».

 

Une histoire qui manque cruellement d’angle politique actuel

 

Quelques destins connus, quelques destinées qui en l’étaient pas : l’histoire est vraie, l’histoire est belle, et il faut la montrer, la revendiquer. Le film est globalement réussi car très pédagogique.
Mais pour qu’elle ait pu être revendiquée plus encore, pour qu’elle puisse convaincre quelques esprits zemmouriens, patriotiques versant du côté obscur (le nationalisme), quelques intellos anti-football, ou pour qu’elle puisse être plus pédagogique encore, il lui aurait fallu un volet plus politique. Si, ici, l’affaire des hymnes (qui chante, qui chante pas ?) est abordée, elle l’est trop tard (par le sociologue Stéphane Beaud), et pas assez. Il aurait fallu parler des Djorkaeff (venus d’Arménie, et dont Jean et Youri portèrent maillot bleu). Il aurait fallu interviewer des sportifs, intellectuels ou politiques dont les propos engrainent le terreau fascistoïde de « l’identité nationale (Finkielkraut) et de l’immigration comme meurtrière de la Mère patrie (Zemmour, ou encore des élus chevènementistes ou dupont-aigantistes).Il aurait fallu montrer les propos du père Le Pen, en 1996, sur les noirs chez les Bleus. Il aurait fallu montrer comment, pour certains, c’est justement par l’immigration que le football est un vecteur de rejet, et que l’équipe de France ne représente pas la France.

II aurait fallu analyser une conséquence directe du foot-business rencontrant le monde du XXI siècle et des travailleurs nomades : la question de binationaux, des quotas.
Un des moments les plus intéressants et originaux du film se produit lorsque sont montrés éducateurs et dirigeants du quartier Consolat à Marseille, proche des quartiers Nord. Mais il aurait fallu montrer le football amateur dans d’autres banlieues, et notamment dans le département le plus pauvre et stigmatisé de France : la Seine-Saint-Denis.

 

En somme, le film manque de politique et d’actualité. Il souffre aussi de trop de Cantona : réalisateur, narrateur, témoin (lui et sa mère). Il parviendra peu à convaincre ceux qui ne sont pas déjà convaincus. Les zemmourriens crieront qu’il montre ce que les bobos abonnés à Canal veulent entendre.

 

Trop sensible, mais fondamentalement utile

« Purée, elle est belle l’histoire quand même », conclut Zizou, avant de laisser échapper quelques larmes, lui qui vient de se rappeler que sa naissance tient à un bateau qui ne partait que trois jours après.

 

Bien que trop sensible et manquant de politique, « Foot et immigration, 100 ans d’histoire commune » l’emporte par son épopée racontée, par sa pédagogie historique, par son niveau intellectuel, et par la qualité de ses intervenants hors-football : Jean-Claude Michéa, Stéphane Beaud, l’historien du sport Claude Boli (frère des footballeurs Roger et Basile), ou encore Edgar Morin qui intervient au début pour dire :

Etre Français, c’est une chose d’esprit, pas une chose de sang, ni de race. C’est une chose fondée sur la multi-culturalité, ce qui n’est pas une invention de l’immigration des XXe ou XXIe siècles

Une multiculturalité dont Jamel Debbouze se saisit ainsi pour conclure le fil :

Qu’on laisse l’immigration faire partie de l’élite. C’est ce qui rendra le plus service à ce pays

Une multiculturalité qui, comme le précise très bien Jean Tigana, est visible cher les joueurs. Pourquoi alors, comme le demande le même Tigana, ne se retrouve-t-elle pas chez les entraîneurs et dans les instances dirigeantes du foot français ? Une question dont ce film constitue un très salutaire et brillant prologue, et qui appelle une réponse.

 

 

 

Foot et immigration, 100 ans d’histoire commune
Création originale Canal Plus
Diffusion dimanche 16 novembre, 20h50 sur Canal Plus. Durée : 1h28
Réalisation : Éric Cantona, avec Gilles Perez
Production : Canto Bros Productions / 13 Production
Idée originale : Éric Cantona
Ecrit par : Claude Boli, Éric Cantona, Jean-Baptiste Loi, Gilles Perez et Gilles Rof


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