03 décembre 2014

« La French » : souvent brillant, parfois poussif, mais bilan globalement positif

C’est l’évènement ciné, et il concerne une cité dont beaucoup, pour la moquer, préfèrent n’y voir que les règlements de comptes : Marseille.

C’est « La French » de Cédric Jimenez, polar lourd-léger made in France. Avec deux stars en promo intensive ces temps-ci, aussi investis dans la promotion du film que dans leurs rôles : Jean Dujardin et Gilles Lellouche.

Trouvant ses origines autant dans les gros thrillers à gangsters hollywoodiens (des films de Scorcese à « American gangster » de Ridley Scott ou « Heat » de Michael Mann) que dans les polars pur France (ceux de Jacques Deray, d’Yves Boisset, d’Édouard Molinaro, et bien sûr des « Borsalino »), le deuxième long-métrage de Cédric Jimenez est un bon film noir. Mais laisse un goût de manque prononcé, tant il s’en faut peu pour que ce bon film devienne un film marquant.

L’Histoire : un homme et deux films

On la connaît : c’est celle du juge Pierre Michel, nommé en 1977 premier juge d’instruction au tribunal de grande instance de Marseille, et devenu « le justicier » aux yeux du grand public. Celui qui décida, nommé par des gens qui n’y croyaient pas, de défaire les fils de la French connection, de s’attaquer à tous les labos clandestins de la région provençale, tous les rackets organisés par l’organisation, et de mettre le turbo pour parvenir à viser les hauts étages de l’organisation. Toujours plus volontaire, toujours plus actif, il n’écouta aucune mise en garde et partit seul dans sa croisade contre Gaëtan Zampa, figure emblématique du milieu, parrain intouchable d’une pègre qui exportait l’héroïne dans le monde entier. S’il parvint progressivement à isoler ce dernier, il s’isola lui aussi de siens. On sait que Michel fut abattu le 21 octobre 1981, par deux tueurs à moto sur le boulevard Michelet à Marseille.

 
Dans l’histoire judiciaire d’après-guerre, c’est-à-dire celle où flics comme truands avaient aussi une histoire personnelle avec la Seconde Guerre mondiale, avec celle d’Algérie, avec le SAC, le juge Michel demeure la figure judiciaire la plus connue. Il avait déjà inspiré un film : « Le Juge », réalisé en 1983 par Philippe Lefebvre. Il méritait bien un film d’une ampleur plus digne de ce nom. C’est donc fait.

(Voir la bande-annonce)

 

L’histoire : deux hommes dans la ville

 
Certes, « La French », c’est Dujardin vs Lellouche. La rencontre de deux copains. Et de deux acteurs marquants du cinéma hexagonal actuel. Ce qui rappelle fatalement le duo Delon-Belmondo dans les « Borsalino » -une comparaison dont ce nouveau film n’est pas prêt de se départir.


S’il y avait déjà eu un film sur le juge Michel, le cinéma avait déjà donné un très bon film sur cette organisation. On le connaît (car on se rappelle la poursuite du métro aérien) : c’est « French connection » de William Friedkin (1972). Deux flics de la brigade des stupéfiants, joués par Roy Scheider et Gene Hackman (Oscar du meilleur acteur), menaient l’enquête dans ce pur film d’action qui représentait la « French » vu du côté américain. Le film de Cédric Jimenez, c’est la French vu par l’autre rive.

 
La bonne idée de Jimenez est d’avoir tout resserré autour des deux hommes : d’un côté, le juge, de l’autre l’intouchable Zampa. Le magistrat déterminé et ambitieux, n’hésitant pas le cas échéant à s’affranchir des usages de la procédure pour tout défoncer, capable de s’opposer jusqu’au maire de la ville (alors nommé Gaston Deferre, subtilement interprété par Feodor Atkine). Et l’enfant de la Cayolle, non loin des calanques de Sormiou, qui était un des plus grands malfrats de l’histoire de la ville, peut-être le plus grand ; et qui sans le savoir était le trait d’union entre le banditisme centralisé à la Antoine Guérini et celui des cités dans lequel allait verser son complice puis ennemi Jacky Imbert (mal interprété par Benoit Magimel).

 
Cédric Jimenez et la coscénariste Audrey Diwan (écrivain talentueuse et compagne du réalisateur) ont travaillé sur une opposition toujours frontale entre les deux, et cette opposition va crescendo. Se trouve appliqué, de façon magistrale, un code de base du noir (roman et film) : l’un entraîne inexorablement l’autre dans sa chute, le tout étant de avoir quelles sera l’état des forces au moment de la fin. Ici, la vie de couple de Zampa vit d’artifices de plus en plus factices, quand la vie de famille du juge s’effrite à mesure que grandit l’obsession chez Pierre Michel. Ici, ce dernier gagne l’estime des corps constitués quand le truand voit tomber le corps de tous les siens. Ici, la masculinité à rouflaquettes et col pelle à tarte de Michel le dispute à celle, gominée, classieuse et cintrée de Zampa. Ici, le sens des détails parle.

 


L’écriture des dialogues, souvent, et des situations, toujours, est ici de grande qualité. « La French », c’est aussi un film psychologique très fouillé. Et même si toutes les scènes intimistes ne sont pas indispensables, les scénaristes ont su ne pas faire un film seulement d‘action. C’est donc un vrai bon polar à la française.

 
On regrettera, revers de la médaille, le défaut qui naît de ce film de mecs : les seconds rôles existent peu. C’est d’autant plus dommage qu’on connait chacun des acteurs qui les interprètent, vu chez Guédiguian, vu dans la série « Mafiosa », vu au cinéma. Ce n’est pas l’écriture qui est ici en cause : c’est le choix de faire un film autour de deux hommes.

 

Une ville : Marseille

 

Pour Jimenez, la French connection semble être depuis longtemps une obsession : cet homme de trente-huit ans est marseillais, et dans les années 1970, son père tenait un restaurant à deux pas de celui du frère de Zampa. On comprend qu’il ait eu envie de raconter. Et force est de constater que sa reconstitution est parfaite. Si on aime et connaît la cité phocéenne (mes lecteurs savent les liens que j’y ai), on aimera la façon dont Jimenez film le trafic dans la ville, cette façon dont tout se passait sur terre dans ces années où le métro venait à peine d’y entrer (le métro de Marseille date de 1977… soit l’année où Michel fut nommé au poste qui lui coûta la vie), et où le tunnel du Vieux-Port était encore récent. Ces détails changent tout dans la façon de « refaire » des courses-poursuites, des filatures, et tout mouvement dans la ville.

 
On aimera aussi la fonction que les auteurs du film ont su donner aux lieux, aux bars, aux boites. Peu de gens ont réussi à faire une fiction digne de ce nom sur Marseille en ne filmant que la ville : Jimenez y est parvenu, qui n’utilise finalement que peu la poétique des calanques et de l’horizon méditerranéen. Grande réussite, qui montre qu’il comprend cette ville, qui à l’époque était loin de la ville plus « continentale » qu’elle est devenue depuis que le TGV l’a mise à trois heures et quart de Paris.

 

Certes, Jimenez avait un gros budget (20 millions d’euros), mais il ne l’a pas noyé dans un film qui, tout de même, dure deux heures.

 

Queue de poisson

 


Et c’est ce qui amène la réserve. Comme il l’avait montré dans son très bon et fort singulier premier long métrage (« Aux yeux de tous », 2012 ; Mélanie Doutey y tenait déjà un rôle primordial, comme ici), Jimenez sait « angler » une histoire.

 
Mais, celle-ci étant plus connue, et surtout moins fictionnelle, on sent quelques fils à la patte. Certes, personne ne songera à prendre le film comme un documentaire sur le milieu marseillais, ni même sur la French connection, mais deux heures, lorsqu’on connaît les faits et la fin de l’histoire, c’est trop long.
Du coup, et malgré la qualité de jeu des deux stars, plus le film avance plus il tire à la ligne. C’est alors qu’on sent que les personnages secondaires n’existent pas assez. Et finissent, comme dans les thrillers hollywoodien qui tâchent, à être platement mis au service de figures imposées du genre (le fidèle, le traître, l’indécis, la balance, ou encore celui qui doit prendre la décision fatale).

 
Il aurait fallu plus de Jacky le Mat. Il aurait fallu plus de politique, et de représentations des collusions. Il aurait peut-être fallu plus d’Amérique. Il aurait fallu un supplément d’âme.

 
On aurait aimé que « La French » renouvelle le genre. Il lui rend hommage. Ce qui n’est pas mal (il amènera assurément un nouveau public à ce cinéma-là). Mais vu l’intelligence de l’écriture, et étant considérée la qualité de la réflexion urbaine de Jimenez, le film laisse une impression de queue de poisson (un comble vu son dénouement).

 

S’il laisse une impression de rendez-vous raté, il donne surtout envie de se laisser voir, grâce à son intelligence. Le genre qui fait pardonner ses manques, et au final donner confiance en son intelligence.

 

 

La French, réalisé par Cédric Jimenez
Avec : Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Céline Sallette, Mélanie Doutey, Benoît Magimel, Guillaume Gouix…
Durée : 2h15
Production : Gaumont
Sortie dans 650 salles en France

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire