L’Euro 2012 a débuté hier. En ces mois de mai et juin, ce sont environ soixante ouvrages qui sont parus -ou, comme le mien, reparus. Dans ce coin pop, il sera bien entendu question de quelques-uns de ces livres.
Aujourd’hui : « Ce pays qui n’aime pas le foot » du journaliste (à So Foot) Joachim Barbier.
Sous-titré « Pourquoi la France appréhende mal le football et sa culture », ce livre illustre ce sous-titre, en montrant que la France, qui n’est pas originellement un pays de football, s’éloigne encore de la culture du ballon rond depuis 1998.
Pourquoi ? Parce que depuis cette date, le foot s’est vu aimer, approcher, analyser par des élites intellectuelles qui, auparavant, le reléguaient au rang d’occupation vulgaire, voire de pratique abrutissante. Mais rapidement, ces nouveaux venus se sont mis à le juger, et à s’indigner : trop d’argent, trop de putes, luxes, tricheries, etc.
Sur le fond, on ne peut qu’être raccord avec leurs indignations. Le problème de ces toutologues, c’est la forme et la démarche de leur indignation. Car oui, jamais aucune réflexion d’un Finkielkraut n’a, en terme de football entendons-nous bien, dépassé le stade de l’électeur indigné.
Mais revenons au livre de Barbier. Qui démontre très habilement que ces indignations émanaient de gens mal placés pour les développer : ils connaissaient autant l’essence, l’histoire et la culture du football que… les footballeurs qu’ils dénonçaient (l’ordurière grève de Knysna fut non seulement une insulte à l’Afrique et au monde mais une preuve que les joueurs ne connaissaient pas l’histoire syndicale du foot français… qui ne date pourtant que de 1968). Selon Barbier, ces élites ont kidnappé le football :
« Puisque le football était à leurs pieds, il fallait désormais qu’il soit la morale des philosophes, l’exemplarité des citoyens, l’égalité de la République, le modèle de la jeunesse, le respect pour la Nation, la lutte contre l’insécurité. Le football se devait d’être ce qu’ils ne sont plus ou n’ont jamais été. Un fantasme d’exemplarité. Une forme de kidnapping vicieux sur le football, notamment sa culture qui s’était construite de façon autonome, en marge du système de valeurs du reste de la société. […] Puisqu’elles avaient trouvé dans le football un bon moyen de parler d’elles, les élites se sont mises à croire que le football pouvait être à la fois un prolongement et un miroir des valeurs qu’elles souhaitaient défendre. Sauf que le football professionnel n’a pas de morale. Parce qu’il n’est pas le sport. »
Ils ont acté le football comme instrument idéal pour développer leurs diatribes. Ils n’ont pas cherché à l’intégré à une analyse globale, à une réflexion sociale, intellectuelle ou philosophique. Du coup, ils l’ont regardé sans recul.
C’est d’ailleurs ce que pointe Barbier. Ces « élites », comme la France en général, regardent le foot sans recul, sans humour, sans dimension épique. Or, le foot, sa pratique et sa culture sont aussi fautes de distance, d’ironie, d’humour. C’est bien simple : sans cela, il n’y aurait pas de supportérisme possible. Car non, lorsqu’ il crie « ho, hisse, enculé ! » quand le gardien adverse dégage, un supporter ne pense pas que ce gardien est un enculé, ni n’a envie de passer à l’acte. Barbier va parfois trop loin (pour lui, la banderole « Pédophiles, chômeurs, consanguins : bienvenue chez les ch’tis ! » du match PSG-Lens de 2008 est excusable, pas pour moi…), mais il démontre cela avec les armes de la culture urbaine du ballon rond : l’ironie, l’humour. En Angleterre par exemple, ces deux caractéristiques font partie de l’identification d’un supporter à sa ville, identification par laquelle passe celle à son club.
Barbier a le talent de ne pas associer le hooliganisme au supportérisme et à la culture foot. De la même façon, il a pris soin de ne pas associer aux toutologues aigris le courant de sociologues hexagonaux (Patrick Vassort, Benoît Perelman ou Jean-Marie Brohm) pour qui le sport est un instrument d’abêtissement général du peuple, et le ballon rond le navire amiral de cet abrutissement.
Son analyse est donc claire, car bien dirigée. Et montre comment le fossé, réel, entre vrai football et foot-business a aussi eu pour alliés objectifs ces novices du ballon rond. Et Barbier de déminer et démonter ce discours, pièce par pièce. De montrer comment un football désenchanté sert ceux qui veulent se faire passer pour des sauveurs de clubs, de morale ou de nation.
Dans la ligné de Stéphane Beaud l’an dernier, l’auteur rappelle qu’on ne peut pourtant pas demander au foot d’être exemplaire si la société elle-même ne l’est pas.
Tout cela étant posé, il peut ensuite reconstituer l’essence de la pratique et de la culture footballistiques. Oui, le football est une vibration, une culture, une identification. Oui, le football est cette chose où « tout est tragique et rien n’est grave », où on chante, où on crie, on siffle, on insulte. Mais où, avec la même force, on respecte l’adversaire.
C’est toute la seconde partie du livre. Peindre et décrypter ce « peuple qui aime le foot ». Qui selon Barbier n’est pas celui des rassemblements de Mélenchon, mais
« celui qui a construit de façon autonome sa propre culture et dit « Je t’emmerde » aux élites et au pouvoir qui veulent décider de son existence ou lui imposer les limites de l’acceptable. Le football, c’est la fierté des origines du crevard qui s’est exfiltré de son bidonville de Buenos Aires ou Naples pour conquérir le monde. Il contient une dimension mythique et mystique. »
Ce livre contient une erreur qu’il faudra corriger à la réimpression. Page 139. Ce n’est pas en 2005 mais en 2004 que Domenech fut nommé sélectionneur de l’équipe de France.
Culturellement et intellectuellement brillant, pointant le manque d’humour de la culture française, et enfin fort bien écrit, cet ouvrage devient un livre très fin sur ce qu’est la culture foot.
Ce pays qui n’aime pas le foot de Joachim Barbier, Eds Hugo&Cie;, 223 p, 15 euros
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