06 juin 2012

« Mythologies américaines » : le débat d’Etonnants Voyageurs en podcast

Nouveau podcast de mes débats malouins, avec ce « Poor white trash, l’Amérique des laissés pour compte » qui rassemblait l’universitaire Sylvie Laurent, Donald Ray Pollock et Eric Miles Williamson.

Un débat. Un sujet. En fait, un concept. Que présente, explique et décrypte Sylvie Laurent dans un essai… qui a donné son titre au débat, et publié aux éditions Presses Universitaires de la Sorbonne.

 

A l’origine péjorative, cette expression désigne un blanc devenu pauvre.

Or, pour ceux qui pensent que l’Amérique est raciste, il s’agit d’une honte, d’un non-dit de l’histoire des Etats-Unis : les « pauvres blancs » ne sont pas plus haut sur l’échelle sociale que les « négros », les « pauvres noirs ». Ces blancs-là sont devenus des résidus pour la classe moyenne et la bourgeoisie blanche. C’est une catégorie morale plus que sociale, qui contient une idée d’abjection sociale. Un déchet, un tas d’ordure, une « ordure de pauvre blanc » (signification littérale).

Dans son ouvrage hyper intéressant, Sylvie Laurent rappelle que cette « catégorie » avait toujours existé, depuis le XVIIIe siècle. Désignant des pauvres blancs du Sud de l’Amérique, rednecks et autres ploucs (pour ceux du Nord). Cette appellation en fit un personnage plus vraiment blanc, grossier, pouilleux, alcoolique et violent, qui incarne dans un même mouvement les bas-fonds de l’humanité et la bouffonnerie grotesque.

 

Un personnage qui, réel, est devenu un personnage de romans. L’intérêt du livre est d’analyser ce concept et cette figure, aussi, à l’aune de la littérature qui s’est saisie du phénomène : Sherwood Anderson, Erskine Caldwell, Harper Lee et Russell Banks. L’originalité du livre est d’inclure la figure d’Eminem à cette étude. Oui, le rappeur de Détroit. A l’autre extrémité de la chaîne du concept par rapport à Anderson, il est celui qui a crié son identité « poor white trash », qui l’a revendiqué en retournant l’image à la face d’une Amérique parfois fièrement blanche. Il le lui a tendu en chantant : « je serai le pire cauchemar de l’Amérique ». Lui prouvant ce que pouvait créer une société ethniciste, qui engendre des monstres à partir du fantasme de pureté morale et raciale. Il se veut un de ces monstres, et parle comme tel.

Le « poor white trash » mue. Comme, bien auparavant, le terme et le concept de « nigger » chez les noirs.

 

Dans le débat que le site d’Etonnants Voyageurs a mis en ligne aujourd’hui, et que je « modérais », Sylvie Laurent avait rendez-vous avec deux écrivains dont la vie et les personnages en font de pure working class hero.

Tout d‘abord : Donald Ray Pollock. Vous commencez à le connaître puisque vous l’avez déjà écouté dans un précédent débat malouin. Il était particulièrement à l’aise dans cette table ronde.

Ensuite : Eric Miles Williamson. Le public français le connaît déjà : trois romans, venues lors des festivals America 2004, Quais du Polar et Etonnants Voyageurs 2009. Un des écrivains yankee aux milles métiers, dont pas mal dans le bâtiment. Né dans la ville où Jack London passa sa jeunesse (Oakland, Californie), il est aujourd’hui universitaire… et avouait dans ce débat qu’il gagne encore moins bien sa vie que lorsqu’il était ouvrier ! Ferraillant contre le misérabilisme de la classe moyenne envers les classes dites populaires, il est un sacré client de table ronde. Le mec pas consensuel, néanmoins fort poli.

 

Rencontré avec Gris-Oakland (2003), roman prolétarien porté par le jazz. Il était de retour à la rentrée 2011 avec son personnage de T-Bird Murphy, rencontré dans le roman sus-cité. Ouvrier, ce personnage a toujours vécu dans la crasse, et végétait ici dans un garage individuel (« Tu peux me croire, je vis pas ici par choix artistique ou romantique, comme ces écrivains qui frayent avec le peuple dans les bas-fonds […] »).
Outre une somme d’histoires personnelles et destins de hard-workers écrits sans angélisme ni misérabilisme, « Bienvenue à Oakland » est un long monologue intérieur, devenant

« une littérature qui dévoile la vie de ceux qui se font écrabouiller et détruire, ceux qui sont vraiment désespérés et, par conséquent, vraiment vivants, en harmonie avec le monde […] Que la perfection aille se faire mettre. »

 

Un très beau moment. J’espère que vous partagerez ce plaisir !

Ecoutez le podcast (durée : une heure environ)

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