04 juin 2012

« L’affaire Gordji » : il est comment, l’acteur Michel Houellebecq ?

Michel Houellebecq dans « L’affaire Gordji » – image Canal+

 

C’est une des grandes surprises de « L’affaire Gordji », un téléfilm unitaire diffusé ce soir par Canal+ : pour la première fois, Michel Houellebecq fait l’acteur dans une fiction.

Un rôle raide, qui lui va comme un gant. L’écrivain y interprète le directeur de la DST durant la cohabitation Mitterrand-Chirac de 1986-88.

Voix pâteuse, cheveux collés, costumes plus étriqués encore que ceux qu’on portait à l’époque : il est parfait en maître-espion. D’autant plus parfait que, personnage secondaire, il interprète tout de même un personnage derrière qui on cherche… Michel Houellebecq ! Dans son rôle, Houellebecq fume aussi la cigarette entre l’auriculaire et l’annulaire, et distille des phrases courtes armées d’un humour froid et revenue de tout :

 

« Alors on a rien ? Alors on fait quoi, on attend le prochain  [attentat, ndla] ? »

« Bon, vous reprenez vous fichiers, vous réactivez vos anciens informateurs. Multipliez les demandes d’écoutes, on vous les vous les accordera. Il y a forcément une piste plus ancienne, quelque chose que vous avez eu sous les yeux, et que vous avez négligé. »

 

Ou encore, la première fois qu’il voit Wahid Gordji :

 

 « Elle est bien, sa veste »

 


Réalisé par l’écrivain et cinéaste Guillaume Nicloux (« Le Poulpe » 1… et 2), « Une affaire privée », « La clef « , « Le Concile de Pierre »), tourné en trente jours avec un budget de 3.5 millions d’euros, « L’affaire Gordji – Histoire d’une cohabitation » retrace les étapes de la surtension diplomatique entre la France et l’Iran en 1986 et 1987. C’était l’époque des otages français au Liban, et d’une série attentas fréquents (Champs-Elysées, le Tati de la rue de Rennes, TGV Paris-Marseille). L’intuition d’une jeune policier de la DST, décidé à tout, mettra à jour la piste iranienne, qui semble avoir la main sur cette vague de terrorisme. Huit ans après la révolution islamique, le pays s’enfonçait alors dans une guerre contre le voisin irakien… à qui la France vendait des armes.

 

C’était l’enquête de sa vie pour le juge Gilles Boulouque, superbement interprété par Eric Elmosnino. Un juge qui se suiciderait le 13 décembre 1990, suite à un retournement stratégique de l’enquête visant à finalement protéger Gordji pour ménager l’Iran, les otages, et la « paix ». Un juge dont la fille deviendrait écrivain, encore un lien avec la littérature.

 

Le film est une fiction très claire, et très informée. Il se développe à partir de deux angles : l’espionnage (pour l’intrigue, avec à la barre le jeune policier, le juge Boulouque et Michel Houellebecq) d’une part, la vie politicienne française d’autre part. Car ces évènements se déroulaient alors que se préparait la campagne présidentielle de 1988 –le film débute d’ailleurs par le débat entre les deux finalistes, avec les fameuses répliques de Mitterrand. Pendant la cohabitation entre le président français et celui du R.P.R. Ce que montre « L’affaire Gordji », c’est comment, petit à petit, les deux hommes chercheraient à transformer l’affaire terroriste en un enjeu électoral majeur. Comment chaque camp utiliserait une diplomatie parallèle, avec chacun une façon de (ne pas) protéger la France.

 

On saluera les compositions de Michel Duchaussoy, qui joue François Mitterrand, et de Thierry Lhermitte, étonnant en Jacques Chirac. Ainsi que de tous les acteurs interprétant les ministres et intermédiaires du gouvernement Chirac (avec Pasqua à la barre).

 

Tout le talent mais aussi le péché mignon de Nicloux réside en ceci : faire interpréter ces personnages par des comédiens qui ne ressemblent à priori pas à leur personnage… mais qui lui collent d’autant plus à la peau. Cependant, ce genre de décalage ne fait pas l’économie de quelques phrases et clins d’œil qui font à la fois rire et alourdir (cette scène où à quelques minutes d’un conseil des ministres matinal, Mitterrand propose un café à Chirac… puis se reprend en lui proposant une bière, que le Premier ministre accepte après avoir vérifié à sa montre qu’il en était bien l’heure).

T

out le talent de Duchaussoy, tout en caractère retord, et de Lhermitte, en nervosité guindée, est de rendre deux personnages qui, chacun de leur côté, sont convaincus de leur supériorité sur l’autre, mais qui sont également habités par un respect mutuel qui va croissant. Ce film est aussi l’histoire d’une confrontation idéologique qui perce sous ce respect.

 

Un film précis, salutaire et très, très talentueux.

 

 

 

Lundi 4 juin, 20h55 sur Canal+
Durée : 90 mn
Un film réalisé par Guillaume Nicloux (90 minutes)
Ecrit par Marc Syrigas
Produit par David Kodsi et Johanne Rigoulot pour K’ien Productions
avec la participation de Canal+
Avec Michel Duchaussoy, Thierry Lhermitte,
Éric Elmosnino, Malik Zidi, André Marcon,
Jacques Spiesser, Michel Houellebecq…

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