27 octobre 2012

A Marseille : Philosophie, polar et auxiliaire d’Etat


(De Marseille). « Le mot Pop philosophie, c’est Deleuze qui l’a inventé. Extraire des idées et des concepts philosophiques à partir d’objets et de productions de masse, c’est une jolie approche de la pensée ». En plein milieu de la « saison IV » de sa semaine de la Pop Philosophie à Marseille, son créateur, Jacques Serrano, en goûte toujours le concept avec jouissance.

Crée en 2009 par un homme qui avait déjà bâti de solides manifestation intellectuelles et artistiques avec les Rencontres Places Publique, la Semaine Pop de la Philosophie se voulait, dit son inventeur :

Un glissement entre le travail mené dans le champ de l’art contemporain et mes activités dans l‘édition. L’idée est, surtout, de promouvoir l’essai dans un pays où, même si c’est très bien aussi, le livre est souvent ramené au seul roman

A tout le moins, il est vrai qu’il y a moins d’évènements et festivals autour de la non-fiction que de la fiction. Le concept de la Semaine de la Pop Philosophie semble d’ailleurs de lier les deux, pour sortir la discipline philosophiques des amphis où elle est enseignée. La ramener dans une agora urbaine qui est celle de ses origines socratiques. La lier à toutes les autres pensées.

Toute la semaine (la manifestation se conclut ce samedi soir par une « Nuit de la Pop Philosophie »), la saison IV prit place dans des lieux dédiés au monde de l’art, de la mode et de la culture ; au Théâtre National de la Criée comme dans la boite de nuit voisine, le Trolleybus. Elle réunit philosophes, sociologues, journalistes et écrivains autour de la pop culture et de la culture médiatique. Cette année furent abordés des thèmes aussi divers e singuliers que « La chose porno ou le corps impropre », « La philosophie en entreprise », « Les trois corps d’Anna Polina », « La philosophie pratique de la drogue », « La philosophie dans Harry Potter », la pop fiction, le football, le rap ou les médias.

Ce vendredi soir, la salle de l’Hôtel de Ville était encore pleine pour accueillir le sociologue Luc Boltanski et l’écrivain Jean-Bernard Pouy, dans une discussion menée par Eric Aeschimann : « Le polar, auxiliaire d’Etat »

 

Un Boltanski très sérieux, mais très clair, parla du roman d’énigme et du roman d’espionnage entre la naissance du genre en 1880 et les années 1950/60. Reprenant la thèse de son dernier livre, « Enigmes et complots » (Gallimard, février 2012), le sociologue partait du postulat, avéré, que le roman policier apparut et fonctionna quand naquit le concept d’Etat-nation fin XIXe : un crime est commis, qui dérange l’ordre, mais l’enquête résout le crime et l’ordre est rétabli. C’est effectivement le schéma de base du roman d’énigme, par essence conservateur. Pour le sociologue :

Ce roman policier vous tient en éveil pour mieux vous rendormir

Boltanski lia le roman d’énigme, où l’énigme devient le centre, au roman d’espionnage, apparu un peu plus tard, et où le complot est au centre de l’énigme. Pour lui,

Les deux offrent une sorte de réalité transformée. Ces genres questionnent donc la réalité de la réalité. Une réalité que le concept d’Etat a pour projet de rendre stable, par le droit, par la police, par la science

L’écrivain Pouy, lui, a toujours milité pour le roman noir, tel que né aux Etats-Unis avec Black Mask, Chandler et Hammett dans les années 1920. Pour lui, l’apparition du terme « polar » dans les années 1980 fut une « trouvaille de journalistes pour englober le roman policier, le thriller, le roman d’énigme et le roman noir »

C’est dans ce dernier, clairement de « critique sociale » que Pouy a toujours écrit. De même que tous les auteurs de sa génération : Delteil, Jonquet, Fajardie, Raynal, et juste avanteux le « pape du néo-polar » Manchette. La plupart furent militants d’extrême-gauche avant de choisir la littérature, et c’est là que se situe pour Pouy le tournant. Virage que prirent plusieurs pays d’Europe, pointait-il, avec par exemple l’Espagne avec l’ancien militant communiste Montalbano :

Pour une fois, la France apparaissait comme un véritable creuset

Pouy parlait du roman noir comme d’un genre qui avait trois préoccupations :

Parler d’aujourd’hui, parler politique, et faire du style

Un Pouy comme toujours intello, drôle et pédago, avait succédé à une intervention plus sobre de Boltanski. Les deux furent également complémentaires dans leur approche historique.

C’est Pouy qui eut la conclusion :

On n’est pas là pour raconter des histoires de meurtres, mais des histoires de société

Histoires de société, il en sera aussi question dans la prochaine rencontre de cette Semaine de la Pop Philosophie. De samedi à 18 heures, il sera question de « Philosophie et Médias ».

 

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