14 janvier 2013

Retour sur le (très réussi) lancement de Marseille Provence 2013

Ça y est, c’est parti : pour un an, Marseille sera la Capitale européenne de la culture. Rappelons au passage que c’est en 1985, à l’initiative de Melina Mercouri, alors ministre grecque de la Culture, que le titre de « capitale européenne de la culture » fut lancé par le Conseil européen. Une idée méditerranéenne, donc, qui distingua Paris en 1989, Avignon en 2000 et Lille en 2004.

Tout le week-end, identités marseillaise et, justement, méditerranéenne, ont été mises en avant pour le lancement des festivités. Malgré quelques prévisibles ratés net autres pétards mouillés, ce fut une immense joie : beaucoup eurent « l’impression que la ville s’ouvre ».

Étape par étape, le récit des principaux évènements.

 

Vendredi 11, 20 heures

 

Tout juste sorti du TGV, je me pose quelque secondes en haut des marches de Saint-Charles pour, comme toujours quand j’arrive à Marseille, regarder la Bonne Mère en face. L’esprit libéré des contingences parisiennes, je fonce à quelques pas de là : boulevard National, pour la grande fête d’inauguration du Off de Marseille 2013. On m’avait dit de me hâter, que ça « allait être le Bronx », que rien n’était sûr pour pouvoir entrer à cette inauguration qui débutait à 19 heures. Effectivement, lorsque j’arrivai, je découvris une file d’attente digne d’une avant-première de Star Wars. Rapidement, la sécurité referma les portes : jauge atteinte, on n’entrait plus. Fermeture qui faisait un heureux : le patron du bar d’en face, qui en profitait pour crier qu’il mettait la coupe de champagne à 1.50 euros (il ne convainquit personne) et le demi à deux (il attira du monde). Au bout de quarante-cinq minutes, plusieurs messages aux amis à l’intérieur, et une première semi-évacuation dedans suite à des fumigènes (Marseille…), je me décidai à montrer ma carte de presse et pénétrai plus facilement dans la soirée.

Baptisée « Banquet de Platon », la soirée propose à l’étage de longues tables, et surtout un repas (risoto de pennes, « wrap revisité de Morrisson », joue de bœuf à la provençale) cuisinés et commenté en direct, avec micros et ambiance sonore, par deux cuistots motivés.

 

« Plutôt que de revenir sur le mariage romantique de Gyptis et Protis », prévenait le site, le Off a préféré « s’arrimer à une autre tradition grecque, trop souvent oubliée ces temps-ci : la philosophie »

 

L’étage fut vite bondé, au point que pendant longtemps on ne put y accéder. Le rez-de-chaussée était lui aussi blindé, où officiait un DJ qui mit un son d’enfer durant toute la soirée, alternant ambiant cool et électro plus hardcore à mesure qu’on entrait au cœur de la nuit. Il y eut grande files d’attente une grande partie de la soirée, bien que le Off n’ait pas tenu à communiqué le chiffre de fréquentation. Ici, et comme dans tous les évènements du Off durant toute l’année, la monnaie est… le gaston, pièce rouge avec le logo universel des touches « off ». Qu’on échange en entrant, au taux d’un gaston pour 1.25 euro environ.

Un Off qui, comme tous les Off de tous les festivals, a eu des subventions et est un « bis » plutôt qu’un « contre ». Un bis qui offrit une fort réussie, et très fréquentée, première soirée.

 

Samedi 12, 13h30

 

Direction les nouvelles constructions, avec comme première étape un pavillon : le Pavillon M, une structure qui, bien qu’éphémère puisque démontée à la fin de l’année, a coûté plusieurs millions qui resteront. 3000 m² située sur l’esplanade Villeneuve-Bargemon, juste à côté de l’hôtel de ville, espace d’accueil qui centralise plusieurs expositions sur la ville, se veut « un concentré de la programmation, mais qui est surtout le gigantesque centre d’information et de mise en avant de la programmation de l’association MP2013. Ouvert tous les jours même dimanche.

Nous passons devant la « Villa Méditerranée », où un service de sécurité imposant attend l’arrivée de Jean-Marc Ayrault. A peine achevé, le lieu est encore en phase d’aménagement. Impossible d’entrer, bien que le chef de projets, qui tient à nous accueillit, ne manque pas de nous vanter le porte-à-faux de quarante mètre, « le plus grand d’Europe, une prouesse technique ».

 

« Méditerranées  » et le J1

 

Direction le J1, un des nouveaux lieux essentiels. Propriété du Grand port maritime de Marseille, symbole de l’activité portuaire de la ville, situé entre la cathédrale de La Major et la Joliette, c’est un hangar en béton armé sur deux étages, il accueillera expositions, librairie, restaurant, ateliers, espace enfants… On déambule dans ce véritable belvédère sur la ville, fort agréable, tout en voyant les ferries débarquer les passagers et les marchandises, de Tunisie ou d’Algérie. Seul grand lieu de « Marseille Provence P 2013″ entièrement achevé et ouvert au public, il accueille une « exposition-fiction » qu’il vous faudra regarder de près : « Méditerranées – Des grandes cités d’hier aux hommes d’aujourd’hui » (jusqu’au 18 mai).

Un parcours de onze chapitres retraçant l’histoire de la méditerranée : de Troie et Tyr à Marseille en passant par Athènes, Alexandrie, Al-Andalus, Venise, Gênes, Istambul, Alger, Tunis. « Peuples de la mer », arrivée de l’écriture alphabétique, impérialisme, démocratie, commerce, Ulysse, régences ottomanes, utopies du savoir universel, développement des moyens de navigation, industrialisation des transports, évolution des (raisons de) migrations, cette exposition relie l’Histoire de toute la méditerranée à son actualité : à chaque étape, constituée d’archives, tableaux, objets et maquettes, un film est projeté. Chacun d’eux forme le chapitre d’une histoire, réalisée par Malek Bensmaïl : l’histoire de la méditerranée d’aujourd’hui, qui répond et ponctue l’Histoire des civilisations que retrace l’exposition.

Le film ainsi formé raconte le voyage d’un Ulysse moderne, un homme sans-papiers voyageant sur sa barquette marseillaise au travers les flots, et parcourant tout le pourtour méditerranéen. Il tombe ici sur les manifestations à Athènes, là sur une avocate tunisienne qui lui raconte la censure, là encore sur deux jeunes stambouliotes discutant religion/laïcité à bâtons rompus ; à Gênes, « ville dont les banquiers ont inventé le capitalisme moderne », il fait cap vers la manifestation anti-G8 de 2001, à Alexandrie, c’est le Printemps arabe. Le tour de force de ce vrai puzzle multimédia est là : avoir relié tous les peuples, toutes les histoires, toutes les langues et toutes les émotions de ce qui constitue l’identité de Marseille, seule ville de France d’origine grecque : la Méditerranée.

 

A 17 heures, à l’heure où grandit le sourire de la ville… et le nombre de CRS

 

Cependant que la ville s’emplit, je me dirige vers la Friche de la Belle de Mai, pour assister à un spectacle organisé par l’association La Marelle, de mon confrère malouin Pascal Jourdana. Le long du trajet, je me rends compte que monte la joyeuse pression : la Canebière est presque pleine. Des fanfares jouent un peu partout, les gens se hâtent pour atteindre le lieu où ils voudront clamer. On sent que la ville s’ouvre au plaisir : celui de sa grande fête. On sait alors, si on connaît la ville, que les marseillais sont fiers d’être des capitales, qu’ils seront actifs.

Tout ceci vu, pensé, photographié, j’arrive en retard au spectacle de la Friche. Je ne le verrai pas. Je ferai un grand tour de ce lieu, auparavant alternatif limite squat, est devenu un poumon de la ville, lieu essentiel de création artistique et théâtrale, de radio (les studios de Radio Grenouille s’y trouvent).

Retour en centre-ville, où la Canebière et tous le cours boulevards, avenues et rues adjacentes sont pleines à craquer. A 18h30, les marseillais se préparent comme ils peuvent : au niveau Lieutaud, il y a ces deux jeunes filles, interprétant plusieurs fois une version française du « Woman in love » de Barbara Streisand. Plus bas, vers la boutique de l’OM, les South Winners ont donné rendez-vous à ceux qui aiment l’OM. Ils sont encore une poignée, mais seront plus nombreux plus tard. Plus tard, où un fumigène vaudra l’intervention de la police dans le coin.

Une police par ailleurs omniprésente depuis l’après-midi. Jusqu’au soir et l’arrivée de la parade de Lumières, les CRS seront déployés avec force, matraque et boucliers en avant comme si la Grande Clameur allait leur permettre de démanteler une cellule islamiste en plein samedi soir.

Plus tard, la direction départementale de la sécurité publique précisera que le dispositif policier fut le plus important à Marseille depuis la Coupe du monde de football en 1998. Plus tard aussi, on apprendra que nous fumes, selon les sources, entre 350 000 et 400 000 personnes à avoir arpenté le centre-ville samedi soir. Personne n’avait osé rêver une telle foule.

 

19 heures : la si décevante Grande clameur

 

Depuis un quart d’heure, l’excitation est à son comble : la Grande Clameur va rassembler des dizaines de milliers de personnes en centre-ville, pour un clam’ brouillon, joyeux et populaire typiquement marseillais. La Clameur est une idée dont tout le monde s’est moqué depuis des mois, ici. Mais où tout le monde viendra.
Sur les murs des immeubles de la canebière est projeté le programme de la soirée. On est invité à twitter sur le mur à gazouillis de la manifestation (@mp2013). La grande clameur a lieu dans tout le centre, mais se décline surtout en sept points névralgiques. Je suis sur l’un d’eux, à l’Opéra, où une foule chantera l’entrée de Marseille dans son année capitale en clamant, puis chantant a capella le « Libiamo », le chœur le plus connu de « La Traviata » de Verdi.

A deux-neuf heures, on attendait un cri unitaire, un élan digne de la ville. A l’Opéra comme partout ailleurs, on eut un vague brouhaha, joyeux mais sans grâce. Sur le Vieux-Port, la sono ne permit pas aux maîtres de cérémonie de donner un top départ clair. De top départ, il n’y eut nulle part, et c’est bien ce qui manqua cruellement : un signe qui marquait clairement l’entrée de la ville dans son statut de 2013.

 

 

La ville devait ensuite plonger dans le noir pour faire valoir le feu d’artifice, puis se rallumer progressivement. Là aussi, pétards mouillés : plutôt qu’une pyrotechnie unique, à graver dans les mémoires, la ville préféra une brindille toutes les heures jusqu’à minuit. A Marseille, on a de ces idées… Côté son, on frisa l’inauguration aphone. Côté lumières, si l’éclairage municipal s’éteignit bien quelques minutes, toutes les enseignes commerciales restèrent allumées, ce qui fit tomber la soirée dans l’incohérence totale. Tout le monde s’attendait à ce que quelque chose se passe encore, puisque le noir prévu n’était pas encore venu. Mais non. Rien. Rien que du cheap. La face obscure de l’organisation marseillaise.

 

21 heures : pause à Mars Actu

 

Il y a tant de monde sur le Vieux-Port que les portables ne passent plus. Tant de cohue qu’on se perd de vue. Les amis m’accompagnant, eux-mêmes accompagnés d’enfants et de poussettes, abandonnent.

Après avoir tenté de voir le spectacle circassien sur le cours d’Estiennes-d’Orves, je rejoins une consœur dans les somptueux locaux du site d’information en ligne Marsactu, où viennent de passer édiles locales, institutionnelles et culturelles.

Dominant le coin droit du Vieux-Port, la rédaction offre un panorama inégalable sur la foule en bas de la Canebière, sur la Bonne Mère illuminée, sur le Pharo pas assez mis en valeur. Et sur la fête de la ville. Tout le monde est déçu par l’absence d’amplification de la clameur, mais tout le monde attend la suite.

 

La Parade des Lumières

 

La suite, c’est l’arrivée de la Parade, partie à 17h30 des quartiers nord de Grand Littoral. Aux dernières nouvelles, et malgré la panne d’un camion au départ, elle n’a pas pris de retard. Le temps de boire un verre, et nous arrivons… pile en même temps que le premier camion de pompier.

Un des cinq véhicules désossés et customisés par les Ateliers Sud Side, collectif marseillais d’arts de la rue : un camion avec énorme boule à facettes, une carcasse de voiture sublimée par des néons, une moto entraînant une grande roue bleue, des hommes en bleus de travail s’agitant de mouvement, tout cela rappelle « Les Temps modernes » de Chaplin.

 

La création se veut un hommage à Marseille l’ouvrière, la ville des boulons, des machines à outils, de la débrouille. Aux travailleurs de l’ombre.

Une parade conçue aussi comme un hommage aux quartiers nord, où elle a été conçue avec l’aide de deux cent élèves des lycées professionnels de la ville. Quelques-uns d’entre eux s’étaient mués en comédiens-machinistes avec le reste de la troupe.

Il est aux alentours de 22h30, et ce qui se passe nous fait oublier la foirade de la Clameur. Le long de la rue d’Aix et du cours Belsunce, c’est le Marseille des années 1980/90 qui défile devant nous : sur une bande son mêlant jazz et bruits de moteurs, c’est le théâtre de rue d’ici, défilé d’hommes, de femmes, de clowns, mêlant débrouille, maîtrise technique et inventivité.

En assistant à cette parade, on revivait le Marseille celle d’avant le TGV à trois heures de Paris. Et on se disait que Marseille est une cité très Bérurier.

C’est jusqu’au Vieux-Port que la parade descendit la ville, avec des milliers de personnes agglutinées à sa féérie. Parmi eux : des escouades de CRS, encore eux. Durant deux bonnes minutes, j’ai pensé mordicus qu’ils étaient aussi factices que le camion de pompier de Sud Side : deux d’entre eux aveint des lunettes évoquant plus la fashion victime ou la comédie que la sécurité publique. C’eut été si marseillais, des CRS se mêlant au spectacle. Mais non, pas quelques heures après le redéclenchement du plan Vigipirate en France (on notera qu’il n’y eut dans la soirée que quelques interpellations pour fumigènes ou faits mineurs).

Malgré eux, ce fut somptueux.

 

2 heures : direction les Docks

 

Après une pause de plusieurs verres, direction les Docks des Suds, un des lieux les plus emblématiques de la fiesta à Marseille. Depuis dix-neuf heures avait débuté un enchaînement de sessions groove, ragga, rock, électro, dub, le duo Bumcello, Jack de Marseille, DJ Oil, etc. Nous en profitâmes quelques heures, et nous retrouvions notamment tous les Sud Side qui avaient garé leurs engins pas loin.

 

Dimanche 13, 14 heures

 

C’est le jour. Le seul. Après, il faudra attendre le mois de juin. Pour le voir, et tu voir les expositions.

En attendant, ce dimanche, c’était journée portes ouvertes au MuCEM. Un des nouveaux lieux de la ville, mais aussi un pari : il s’agit du premier Musée national dans une « capitale régionale ». Erigé sur l’esplanade du J4, ancien môle portuaire, il est relié par une passerelle au Fort Saint-Jean, rénové pour cette année 2013. Il est surtout d’une architecture osée, minérale. Un squelette fin, féminin, intriguant… et réussi.

Destiné à accueillir toute sortes de manifestations et expositions, le lieu abritera plus tard le Musée des Civilisations d’Europe et de la Méditerranée, descendant du musée d’ethnographie crée au Trocadéro en 1884 : 4700 m² de surface d’exposition, deux passerelles de 135 et 70 mètres de long, un toit terrasse splendide, un million d’oeuvres, objets, documents, vingt rendez-vous hebdomadaires, le MuCEM se veut un lieu de musée autant qu’un carrefour de rendez-vous et découvertes.

Si on en juge par les sangles encore nécessaires par endroits, il faudra encore quelques ajustements pour un lieu qui fit visité par 15 000 personnes ce dimanche (source organisateurs).

Rencontré en fin de ma visite, l’architecte du lieu, Rudy Ricciotti se félicitait

 

« d’un musée voulu comme un lieu populaire, accessible et ouvert à tous »

 

Ce fut un week-end de lancement réussi, dans l’unité, dans la beauté et dans l’intensité. Tous les marseillais croisés sont fers ce qui s’est passé car ils sont heureux de ce qui se passera. Ils savent que ce statut capital génèrera autant de ratés que de paris gagnés. Ils savent qu’on moquera autant qu’on applaudira. Ils savent surtout que ça ne changera pas l’image de la ville, mais que la plupart des gens changeront quand même leur manière de la voir. Que c’est une chance énorme, et que tout ça ne sera que du plus.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire