Foot et littérature : David Peace écrit sur Bill Shankly, celui grâce à qui les joueurs de Liverpool devinrent les Reds
David Peace fera paraître un nouveau livre sur le foot anglais, et il concernera Bill Shankly. C’est le site ActuaLitté qui nous l’apprend ce mercredi. Précisant que l’ouvrage a été annoncé pour le mois d’août prochain par l’éditeur de Peace, Faber and Faber.
L’écrivain a, toujours selon ActuLitté, précisé que son livre portera
plutôt sur la retraite de l’homme après ses grandes années,
c’est-à-dire après avoir entraîné le mythique Liverpool FC et le club
d’Huddersfield… qui est l’équipe favorite de Peace.
Qui a expliqué :
J’ai écrit à propos de la corruption, du crime, d’hommes
mauvais et de démons. Mais maintenant, j’en ai eu assez des hommes
mauvais et des démons. Désormais, je veux écrire un livre à propos d’un
homme bien et d’un saint
AcuaLitté de préciser :
Le livre, intitulé « Red or Dead », expliquera comment
Shankly a réussi à faire de Liverpool la grande équipe que nous
connaissons aujourd’hui. Nul doute que les Anglais apprécieront de même
que les fans de football à travers le monde, car s’il est bien un genre
où il difficile de trouver de bons livres, c’est bien celui du sport
David Peace
Rappelons tout d’abord qui est cet auteur, très fortement aimé ici,
découvert en France en 2002 avec « 1974 », et qui depuis a vu huit de
ses romans traduits en France. Tous chez Rivages.
Peace est le vrai nom de David, né en 1967 dans le Yorkshire. Son
enfance et ses études dans l’Angleterre thatchérienne donnèrent la
nausée à cet homme solidement planté à gauche : il partit pour Istanbul
en 1992, afin d’y enseigner l’Anglais dans des cours aux particuliers ou
des instituts d’hommes d’affaires. En 1994, il partit vivre à Tokyo,
toujours professeur d’anglais. Il s’y maria, et c’est là qu’il devint
écrivain. En 1999, il commença à publier la tétralogie « Red Riding
Quartet », grand cycle décapant sur son Yorshire natal. Mettant en
fiction des faits divers réels avec une langue et une structure
radicalement minimalistes, Peace brosse le portrait de l’Angleterre de
1974 à 1983 : les années de la démolition de l’inconscient démocratique
par la révolution thatchérienne. Le premier tome s’intitule « 1974 »,
puis vinrent « 1977 « , « 1980 » et « 1983 », publiés en France entre
2002 et 2005.
En 2006, ce fut le début d’un autre cycle sur l’Angleterre à présent
sous joug thatchérien : « GB 84″, sur la grève des mineurs à laquelle le
gouvernement répondit par les armes. Bientôt viendra « UK DK ». Entre
temps, Peace a aussi entamé un cycle sur son pays d’adoption, le Japon,
où il est retourné vivre en 2011, après une parenthèse anglaise :
« Tokyo année zéro » et « Tokyo ville occupée » (2008 et 2010 en
France).
Trop facilement considéré comme le simple Ellroy britton, David Peace
est un peu comme la rencontre entre Robin Cook, les Clash, Joy
Division, James Ellroy et Walter Benjamin. Une écriture chirurgicale
dopée au stress et au GHB, une puissante verbalisation du Mal, un
patchwork d’obsessions physiologiques, de dialogues autant que de
monologues, et de manchettes de journaux. Comme tous les romanciers
anglais de sa génération, ce sont moins les « modèles » de la génération
précédente (Kinglsey Amis, Martin Amis, McEwan, etc) qui ont compté que
la musique (Sex Pistols, Clash). Peace, autant que du roman criminel,
c’est du roman culturel et du roman de classe sociale.
Peace aime venir en France, où il vint pour la dernière fois à Quais du Polar en 2011. Nous le vîmes très marqué par les récents séismes dramatiques au Japon.
Peace Football Club
En 2006, Peace publia « The Damned United » en Angleterre, un livre
paru en France en 2008 sous le titre « 44 Jours – the Damned United »,
et adapté au cinéma en 2009. Il y racontait l’histoire de Brian Clough,
« la plus grande gueule du football anglais », seul joueur de l’histoire
à avoir déclenché une grève… de ses propres coéquipiers contre lui. Un
égo titanesque qui, devenu ensuite entraîneur, parvint à faire du pâle
club de Derby County, venu de la D2, le champion d’Angleterre 1971-72.
Dans le foot british des seventies, celui de Bobby Charlton et de George
Best, dont les clubs sont les grands d’Europe, Clough était alors une
idole. Un adepte, aussi, du « Kick and rush » british, ces longs ballons
balancés par les airs de l’arrière vers l’avant. Sa maxime : « Si Dieu
avait décidé de nous faire jouer dans les nuages, il n’aurait pas mis de
pelouse sur le sol … ». Donc, chez Clough, on courrait et on labourait.
Clough remporta des Coupes d’Europe parmi les dernières du foot british
pré-Heysel (Notthigham Forest 1979 et 1980). Mais il y eut cette année
1974, où il décida d’entraîner le grand Leeds United, celui de Billy
Bremner, Allan Clarke, Johnny Giles ou Terry Yorath.
Des concasseurs de tibias, des briseurs de rêves prêts à mourir pour de
la bière. Mais le meilleur club anglais du moment, et le champion en
titre. En quarante-quatre jours, de juillet à septembre 1974, Clough les
fit passer des toutes premières places aux dernières du classement.
C’est ces jours d’enfer, ce concours d’alcool entre des joueurs qui ont
trouvé à qui parler, dans lesquels nous plongeait David Peace, mixant
les narrations et présentant un Clough sombrant dans la paranoïa.
Né en 1913, décédé en 1981, Shankly ne joua pas du foot ni ne
l’incarna. Shankly fut le foot : culturellement, socialement et
séculairement. Célèbre pour son palmarès comme pour ses maximes,
l’Écossais, devenu icône, se retrouve tout entier dans une de ces
fameuses phrases :
Certaines personnes pensent que le football est une
question de vie ou de mort. Je trouve ça choquant. Je peux vous assurer
que c’est bien plus important que ça
Joueur professionnel de 1932 à 1949, il remporta une FA Cup en 1938
avec le club anglais du Preston North End FC. Il fut sélectionné cinq
fois en équipe nationale écossaise, en 1938 et 1939, avant de mettre un
terme à sa carrière en 1949.
Après un premier entretien raté avec le Liverpool FC, Shankly
entraîna successivement les petits clubs anglais de Grimsby Town FC,
Workington AFC, et Huddersfield Town FC (où il vit éclore un certain
Denis Law), entre 1956 et 1959. C’est cette année-là que le grand
Liverpool FC, alors en deuxième division, l’engagea. Ayant acquis une
forte autorité et une aura de même, Shankly recruta des joueurs
importants, notamment Ron « The Colossus » Yeats, premier grand
capitaine de l’immense Liverpool des sixties. En 1962, le club monta en
première division. Et dès 1964, il remporta le Championnat. L’année
suivante, à l’occasion de la finale de la Cup que son équipe s’apprêtait
à disputer contre Leeds, Shankly énonça une des maximes orgueilleuses
qui feraient sa gloire :
Vous êtes les meilleurs. Les joueurs de Leeds sont honorés d’être sur le même terrain que vous
Il exigeait que ses joueurs se fassent respecter sur leur terrain, à
Anfield Road. Shankly posait ainsi les bases des prochains succès des
Reds. C’est d’ailleurs lui qui ferait jouer les Liverpuldiens tout en
rouge (avant 1964, ils jouaient en rouge et blanc), « pour faire peur
aux autres ». Sans lui, donc, jamais les Reds ne seraient vraiment
devenus les Reds.
C’est alors que Shankly qui recruta, entre autres joueurs et pour la
somme dérisoire de 33 000 livres sterling, un joueur qu’il allait
révéler : Kevin Keegan. Dès 1973, les Reds gagnèrent la Coupe de l’UEFA
puis, à nouveau, le titre de champion national. L’année suivante, ils
remportèrent une nouvelle Cup. C’est alors que, âgé de soixante ans, il
décida de prendre sa retraite, laissant la place à son adjoint Bob
Paisley, qui offrirait au club ses premières Coupes des Clubs Champions,
gagnerait encore UEFA et plusieurs titres nationaux. Sans Shankly, les
Reds n’auraient jamais eu cette culture de la gagne. Sans lui, les Reds
n’auraient jamais été les Reds.
Il disparut le 29 septembre 1981, des suites d’une crise cardiaque qui
l’avait frappé trois jours plus tôt. Sa vie durant, l’entraîneur avait
été un homme du peuple, dans tous les sens du terme. Chaque jour, il
prenait le temps de répondre personnellement aux lettres que lui
adressaient les fans du pays tout entier, allant parfois jusqu’à les
appeler chez eux. Jusqu’à sa mort en 1981, il ne fréquenta que les
hôpitaux publics, refusant catégoriquement d’être soigné en clinique
privée.
Communiste revendiqué, Shankly passa à la postérité pour des phrases
absurdes et essentielles sur la politique, la vie et le football, dont
voici quelques pépites :
La pression, c’est travailler à la mine. La pression,
c’est être au chômage. La pression, c’est essayer d’éviter la relégation
pour 50 shillings par semaine. Cela n’a rien à voir avec la Coupe
d’Europe ou la finale de la Cup. Ça, c’est la récompense
Ma vision du communisme n’a pas grand-chose à voir avec
la politique. C’est un art de vivre. C’est de l’humanisme. Je crois que
le seul moyen d’y arriver dans la vie, c’est l’effort collectif. Il faut
que chacun soit prêt à travailler pour l’autre, il faut s’entraider
pour que chacun retire les bénéfices de l’action commune au bout du
compte. J’en demande peut-être beaucoup mais c’est la façon dont je vois
le football et dont je vois la vie.
J’étais le meilleur à mon époque et j’aurais dû gagner
plus de titres. Mais je n’ai jamais eu recours à la fourberie. Je
donnais toujours le maximum. Si j’avais joué contre ma femme, je lui
aurais cassé la jambe pour gagner mais je ne l’aurais jamais prise en
traître
Avec trois Écossais dans son équipe, on peut espérer gagner quelque chose. Au-delà, on ne récolte que des ennuis
Quand vous êtes premier, vous êtes premier. Quand vous êtes deuxième, vous n’êtes rien
Et, donc, ce mythique :
Certaines personnes pensent que le football est une
question de vie ou de mort. Je trouve ça choquant. Je peux vous assurer
que c’est bien plus important que ça
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