29 août 2013

«House of Cards»: une série XXL

Aux Etats-Unis, Barack Obama en est fan. En France, on a eu droit à une promo XXL: spots depuis des semaines sur Canal, affichages en ville. Vous êtes donc forcément au courant : «House of Cards» est la série de la rentrée. Elle signe l’arrivée de David Fincher dans la fiction télévisuelle, et marque les retrouvailles du réalisateur avec le comédien Kevin Spacey, dix-huit ans après «Seven». A quelques réserves près, ce projet télévisuel XXL est une réussite.

 

Dès la toute première scène, il y a dans la nuit un cou tordu, un spectateur pris à parti, et un cynisme qui glace.

Bientôt, ce sont les coups qui seront tordus. Il y a du sexe, du mensonge, de la vidéo, de la manipulation. Tous les cercles du pouvoir y passeront : chefs de majorités, chefs de partis, députés, gouverneurs, puis journalistes, propriétaires de journaux, lobbyistes, patrons de syndicats, humanitaires.

 

 

L’histoire

 

Francis Underwood (interprété par Spacey) a réussi sa mission : il a grandement contribué à faire élire Garrett Walker à la Maison Blanche. Député démocrate, coordinateur de la majorité présidentielle au parlement américain, Underwood se voit pourtant barrer la route du Secrétariat d’Etat au dernier moment. Sans explication valable. Feignant d’accepter son sort, il va embrasser la situation… pour mieux s’appliquer à ruiner la carrière de tous ceux qui l’ont trahi, tout en restant le pilote de la majorité. Pion essentiel, homme incontournable pour son camp, il sera officiellement le « congres man » qui pilotera toutes les réformes. Voire : qui les (ré)écrira. Il a « fait » un président qui l’a blackboulé ? Underwood choisira de ruiner les envieux, s’efforcera de fabriquer des candidats fantoches afin de mieux les manipuler. Il va devenir essentiel pour le meilleur, mais surtout pour le pire des relations et des salons politiques.

 

Prenez votre souffle, vous entrez dans des couloirs, et dans un système, où il n’y a pas d’air et où il ne faut perdre ni la face ni sa rhétorique. Durant les treize épisodes de cette première saison, Underwood intrigue, manipule, tombe mais se relève, change de braquet comme d’alliés, ourdit des traquenards et ruine les réputations.

 

Sa chance : une femme travaillant dans l’humanitaire, plus cynique encore que lui, allant jusqu’à accepter ses nuits adultères. Elle comptait sur la nomination de son mari pour développer son groupe d’activistes environnementaux dans d’autres pays ? Elle scellera avec lui un pacte pour détruire ceux qui l’ont trahi. Chez eux, le cœur n’est qu’un muscle qui peut marcher à froid.
Son alliée : une journaliste débutante aux manières trop modernes pour le Washington Harald, vénérable quotidien où elle aiguise son cynisme. C’est elle qui persuadera Underwood de l’utilité du pacte qui va, dès les premiers jours, totalement modifier la ligne de chant et le champ d’action de la présidence.
Son pion maître : le député de Pennsylvanie Peter Russo, manipulable grâce à sa dépendance à l’alcool et la cocaïne, enchaîné par ses promesses électorales, affaibli par une vie privée dont le ton vire au noir.

 

L’argent aux faibles, l’idéologie aux généraux

 

Pour eux, l’argent n’est qu’une étape vers la seule chose qui vaille : le pouvoir. Lorsqu’il croise un lobbyiste, Underwood lâche :

Quel gaspillage de talent. Il a préféré l’argent au pouvoir. Erreur très répandue dans cette ville

Dès le premier épisode, il nous a prévenus :

Laissons l’idéologie aux généraux

Il nous a prévenus car il nous parle directement. Underwood est le personnage principal aussi parce que c’est celui qui prend, très souvent, le spectateur à parti. Décryptant son geste, déclinant l’identité et le CV d’un tel, informant et… déformant. Par ces interventions comme par le rythme soutenu (après tout, il est censé faire passer une loi majeure en cent, tout en plaçant ses propres mines), nous voici non en visite mais en apnée dans les couloirs du mouvoir.

 

Une série de justesses

 

On a aimé « House of Cards » pour cette apnée. On a aimé car tous les personnages sont justes, ni leur psychologie ni leurs actes ne versant dans l’outrance ou la minauderie. Ajoutons que les personnages secondaires ont une présence forte. Que le couple Underwood, interprété par Kevin Spacey et Robin Wright, est composé de deux personnages si identiques qu’ils ne forment pas un équilibre mais un perpétuel mouvement. L’un comme l’autre offre un très conséquent registre de variations qui, pourtant, les maintient toujours imprévisibles. Concluons par des dialogues de compétition.

 

Profondeur psychologique, rythme soutenu sans être effréné, réalisme politique, histoires et intrigues savamment enchevêtrées, rebondissements : du haut niveau.

 

Un bas blesse

 

On a trouvé un point noir. Un seul, mais qui a tendance à singulièrement gâcher la vue : ici, on est manipulateur ou manipulé. Ou l’on tire les ficelles ou l’on est tiré à vue. Tout est blanc, ou noir. Ce qui ne bouge pas est mort.

Cette première saison manque d’un personnage qui s’inscrirait dans le temps d’un projet réellement politique –fût-il, dans ce bain de requins, naïf. « Borgen » et « A la Maison Blanche » reposait aussi sur de tels personnages. Ici, que nenni.

Le cynisme en devient trop le moteur, qui parfois fait tourner en rond l’action, lui donnant du plomb dans les idées. Une telle apnée donne une idéologie « tous pourris » qui est un écueil politique comme narratif. Et qui gomme parfois la profondeur des psychologies à l’œuvre.

Conséquence : héraut de ce cynisme, Underwood ne laisse apparaître ses failles qu’à la fin de la saison. Des failles qui constituent une fin ouverte, pour une deuxième saison d’ores et déjà commandée.

 

Un projet XXL…

 

« House of Cards » vient d’assez loin. De 1990, le temps d’avant le web et la globalisation financière. La série est un remake d’une minisérie de quatre épisodes de la BBC, elle-même adaptée d’un roman de Michael Dobbs, ancien proche de Margaret Thatcher, sur son propre exercice du pouvoir.

Le dramaturge Beau Willimon a été chargé d’actualiser et d’américaniser l’intrigue. Producteur exécutif du projet, David Fincher (« Alien 3″, « Fight Club », « The Social Network », « Millenium ») en a réalisé les deux premiers épisodes et supervisé les suivants, quant à eux réalisés par Joel Schumacher (« Batman Forever », « Phone game »), James Foley, Allen Coulter, Carl Franklin, Charles McDougall.

 

… et alternatif

 

Ce n’est pas à la télévision qu’a été diffusée la série en février dernier. Mais sur le site de vidéo à la demande Netflix, qui a doublé des chaînes comme HBO ou Showtime. Cités par Le Nouvel Observateur, les chiffres disent tout de l’enjeu : 100 millions de dollars investis par Netflix, fort de trente millions d’abonnés, le tout pour 26 épisodes (deux saisons, donc), neuf mois de tournage, et une série mise en ligne non pas épisode par épisode mais d’un seul bloc.

 

« A la Maison Blanche » sauce Ellroy

 

Voici donc un projet titanesque tant dans son architecture narrative que par ses enjeux de production et de distribution. Une intrigue brossant un portrait à charge du monde des médias et de la politique. Des personnages et des dialogues qui ne sont que faisceaux, réseaux et sans-cœur. Une fiction très incorrecte, mais bien plus subtile encore qu’il n’y paraît.
« House of Cards » est un objet froid, mais à l’ampleur rassurante. Bon comme un roman d’Ellroy. C’est peu dire qu’on attend la suite.

 

 

Chaque jeudi à 20h55 sur Canal Plus. 13 épisodes de 52 minutes. Trois épisodes ce soir, puis deux par soirée.
Adaptée pour la télévision par Beau Willimon. D’après le roman de Michael Dobbs et la minisérie anglaise d’Andrew Davies.
Réalisation : David Fincher, James Foley, Allen Coulter, Carl Franklin, Charles McDougall, Joel Schumacher
Avec : Kevin Spacey, Robin Wright, Corey Stoll, Kate Mara, Michael Kelly, Michael Gill, Ben Daniels, Sakina Jaffrey, Kristen Connolly, Larry Pine, Constance Zimmer

 

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