08 septembre 2013

En France, la rentrée littéraire offre un fils à McEnroe

En ce week-end final de l’US Open de tennis (finale dame ce dimanche, finale messieurs demain), parlons ici d’un roman dont le pari, hautement tenu, est d’entrelacer tennis, politique française et histoire familiale. Le tout, principalement, dans les années 1980-1990, celles de McEnroe donc, mais aussi de Lendl, Wilander, Noah, ou encore de Sabrina (« Boys, Boys, Boys », tous les garçons s’en rappellent), de Cock Robin, de toutes ces hits dont on aurait honte peu après, ou encore du triomphe absolu de Mickael Jackson.

 

Celles de l’avènement, de la gloire et du crépuscule d’un de ceux grâce à qui le tennis déborda de son cadre d’origine : John McEnroe. Cet homme  au sujet de qui Serge Daney (qu’il nous manque, Daney…) écrivit dans Libération :

Borg met la balle là où l‘adversaire n’est pas encore. McEnroe, lui, la met là où il ne sera jamais

Ce roman s’intitule « Le tennis est un sport romantique », c’est un des romans remarquables de cette rentrée littéraire française. Troisième roman publié d’un frais quadragénaire habitant à Besançon, ce roman est frais, léger, et surtout savamment culotté.

Il débute lors de cette année 1984 de tous les records pour l’Américain : McEnroe remporta treize des quinze tournois où il s’aligna, et ne perdit qu’à trois reprises, cette année qu’il conclut à nouveau dans la peau d’un numéro 1 mondial. En cette année, McEnroe a déjà dépassé l’autre grande figure rock du tennis : Jimmy Connors. C’est pourquoi Friedmann n’évoquera (malheureusement) pas de ce dernier.

 

Ce 10 juin 1984 donc, Hélène, mère célibataire, décide d’allumer la télé pour voir la fin de la finale de Roland-Garros : la célèbre finale Lendl-McEnroe. Celle que l‘Américain allait à coup sûr, aux yeux de tous, gagner devant ce Tchèque aride qui était son contraire lus encore que son adversaire. Dans cette finale de guerre froide, McEnroe montrerait au monde comment un attaquant pouvait gagner sur surface lente. D’ailleurs, Hélène avait choisi de ne regarder que la fin : la balle de match, la coupe, le triomphe. Mais ce moment où elle allume est le moment où le match bascule : Lendl l’emportera en cinq sets. Pas de triomphe, mais un drame.

 

 Drame familial aussi. Ce jour-là, son fils Julien est avec elle. Et supporte plutôt « le gentil », celui qui ne bronche pas. Lendl. « -Pourquoi les gens ils applaudissent le méchant ? », demande-t-il. Poursuivant plus tard :

Tu le connais, en vrai, le méchant ?

 Julien a cinq ans. Sa mère, qui en a vingt-quatre, lui apprend ce qu’est un retour dans les pieds :

C’est ton père, Julien. C’est ton papa qui vient de perdre Roland-Garros. Celui que tu appelles le méchant. Voilà, tu es content, maintenant ?

Dès lors, Julien se met enquête du père. Et va suivre le chemin de sa mère :

Depuis 1978, 16h18, les matchs de McEnroe cadencent son existence. Même ceux qu’elle réussit à s’interdire de regarder

 

Julien grandit et apprend la vie en étant persuadé que. Comme sa mère. Il collectionne tout ce qui se fait sur le tennisman, s’inscrit au Besançon Tennis Club (« le plus cher de la ville »). Sa vie, c’est McEnroe, et le tennis.

Pour donner une forme à ce fantasme, Friedmann bâtit son livre par des chapitres dont les titres sont des scores : « 10 juin 1984 Lendl bat McEnroe 3-6 2-6 6-4 7-5 7-5″, « 4 juin 1985 Wilander bat McEnroe 6-1 7-5 7-5″ ; « 21 novembre 1988 McEnroe bat Krickstein 7-5 6-2″. Puis bientôt, ces titres comme ces dates se font sans lui. Car l’histoire de Julien a avancé, celle du tennis est revenue à d’autres grâces (Graf, Seles, Sampras) ou d’autres cogneurs (Courier, Agassi, les Espagnols). Parce qu’aussi, le monde a tourné. Même ça, l’histoire de Julien la rend par des scores : « 8 mai 1988 Mitterrand bat Chirac 54,02-45,98″, « 25 décembre 1989 Roumanie bat Ceausescu ».

 

Partant de l’enfance, ici des années 1980, Julien et son auteur recomposent le décorum culturel et sociétal d’alors. Ils chevauchent les rêves et les fantasmes d’un enfant sans père, de qui ils écrivent le fil conducteur qui le mènera au mariage. Faisant là aussi coïncider la date avec un évènement plus universel, en ce 6 mai 2007. On revisite l’histoire tennistique moderne (de Pfister et Kriek à Kuerten, en passant par Lendl, Wilander, Edberg, Krickstein, Courier, Agassi, Sampras, Bruguera). L’on revivra la plus grande partie de la carrière de McEnroe, entre 1978, une rencontre contre le sud-africain Kriek… et avec Hélène, et la retraite en 1993. Car oui, le joueur croisa bien cette Hélène. Comme, un autre jour de 2008, il croisera Julien.

 


John McEnroe – La légende vivante par monshort

 

C’est entre ces deux dates que résident les différents nœuds d’une histoire ici rendue de façon légère, subtile et surprenante, pour ce qui est un des grands rafraichissements de cette rentrée. « Le tennis est un sport romantique » est une affaire de famille, de rêves d’enfance. C’est aussi une fort belle manière d’évoquer la façon dont le sport construit notre rapport au monde, dont les champions peuplent nos rêves. Le sport est un dépassement de soi, et il arrive que la littérature le rende. Pari réussi pour Arnaud Friedmann, avec un livre lourd-léger, comme sont toutes les fictions réussies sur le sport. Sport, fiction, littérature : ces choses qu’on dit désuètes et qui sont si fondamentales.

 

Le tennis est un sport romantique d’Arnaud Friedmann, JC Lattès, 285 p, 17 euros

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire