23 avril 2014

«Looking for Rio» : Cantona entre les contes et les laissés pour compte du football

Diffusé ce mercredi juste après Real Madrid – Bayern Munich de Champions League, le nouvel opus des «Looking for» avec Cantona, rend cette série indispensable.

«Passion» est le mot le plus juste pour définir cette relation entre Rio et le football

C’est Romario qui le dit. Né à Rio, il y a débuté sa carrière (en 1985) et l’y a finie (en 2009).

Héros de la victoire au Mondial américain de 1994, à présent député fédéral, le noceur est un des rares à avoir joué dans trois des quatre grands clubs de Rio, mégapole de six millions d’habitants. Et autant de fanas du foot : à la plage, dans les rues, dans les favelas, ou dans la cathédrale sacrifiée du Maracana.

« Looking for Rio » est la septième ballade de Cantona dans l’histoire des grands derbys du foot, après Barcelone, Milan, Manchester, Istanbul, Buenos Aires, Athènes. Un opus écrit par Gilles Rof, et coréalisé par Gilles Pérez, une doublette déjà à l’œuvre pour l’épisode grec, ainsi que pour « Les Rebelles du foot« .

(Voir le teaser)

 

Porté par un Cantona un peu plus effacé que dans les opus précédents (ce dont on se réjouit), cette escapade est habitée, comme possédée, par son propre thème et son décorum. Un décor de rêve, de source, d’éternité et d’actualité : le Brésil, donc. Et son cœur du cuir : Rio. Que nous visitons alors que deux évènements majeurs vont y allumer tous les projecteurs : la Coupe du monde de football au Brésil (12 juin – 13 juillet) et les Jeux Olympiques de Rio (2016).

 

Quatre clubs, quatre légendes, autant d’histoires

 

Entre collines et plages mythiques, quatre grands clubs se partagent les cœurs de la ville : Flamengo, Fluminense, Vasco de Gama et Botafogo. Depuis plus de cent ans, ces quatre monuments s’affrontent, se déchirent et empilent les titres dans les différents championnats qu’ils disputent, dans l’État de Rio, à l’échelle du pays ou de tout le continent sud-américain. Des immenses joueurs brésiliens, seuls Pelé, Ronaldo ou le tout jeune Neymar n’ont pas joué à Rio. Une pelleté de grands noms ont joué dans deux ou trois clubs cariocas (on appelle ainsi les habitants de la ville, la deuxième du pays derrière Sao Paulo).

  • Fluminense, c’est Rivellino, Thiago Silva (actuel capitaine du PSG), Fred, Didi, Dirceu.
  • Flamengo, c’est avant tout Zico, et c’est un peu de Socrates, et c’est aussi Friedenreich, de Ronaldinho, Leonidas, Adair, Romario.
  • Botafogo, c’est Garrincha, le dieu des mecs comme moi. C’est aussi Didi, Valdo, Jairzinho.
  • Vasco enfin, c’est Bellini, le capitaine de 1958, c’est Dunga, celui de 1994, c’est Juninho.

 

Fla-Flu, un carnaval sans saison

 

Comme le démontre le film, le football était un sport d’élite, dans le Brésil du XIXe siècle où l’aviron était le sport roi. Les premiers clubs sportifs de Rio, étaient des clubs nautiques, qui s’équipèrent un jour de sections foot. En 1902 fut crée Fluminense, équipe vitrine pour la bourgeoisie blanche. Dans cette équipe, un conflit opposa en 1911 les joueurs aux dirigeants, et les premiers créèrent une section foot chez l’ennemi Flamengo, qui n’en avait pas.
Une bataille mythique était née, car depuis lors Fla-Flu est un match fratricide entre deux ennemis de mêmes pères. Au Brésil, le match du siècle, c’est Fla-Flu. Le plus gros derby du pays le plus foot du monde.
Dès le début, l’opposition fut sociale : Flamengo représenta toujours les classes populaires, Fluminense, lui, fut et demeure le club de l’upper class carioca, celle qui construisit le pays en dépoussiérant les restes du colonialisme portugais. Ce derby constitue « le classico des multitudes » cher au dramaturge brésilien Nelson Rodrigues. Depuis 1912, ce match est une question de vie, de mort, et comme le dit un des hommes interrogés par les réalisateurs :

 

Un carnaval sans saison

 

« Looking for Rio » a comme toujours interrogé d’anciens joueurs (Zico, Rivellino, Romario, et Roberto Dinamite), mais aussi des « experts », des journalistes, des militants associatifs des favelas, des élus, un compositeur (Ricardo Siri), un artiste (Tunga). Une peinture sociale, sportive, un portrait en transe om tous les corps s’expriment, tant sociaux que physiques.

 

La ville se découvre, permettant d’aller voir très précisément l’âme des deux autres grands clubs. Botafogo, club au maillot noir et blanc, club fondé par un originaire d’Italie, club qui adopta les rayures noires et blanches de la Juventus de Turin, le club du dieu Garrincha. Et Vasco de Gama, le club des Portugais immigrés, le club à la croix de Malte qui est le seul club du pays à posséder… une chapelle en son stade. Le « club de Rio qui a le public le plus pauvre », dit le film,  « c’est aussi le seul qui n’a pas de cordon ombilical avec Flu ». C’est surtout le premier grand club de Rio qui eut un président noir, et qui ouvrit ses portes aux joueurs noirs.

 

Racisme et « pacification » des favelas

 

Au Brésil comme ailleurs, le racisme demeure. Rien de surprenant dans la mesure où l’esclavage n’y fut aboli qu’au XXe siècle (en 1940, certains clubs brésiliens refusaient encore les joueurs noirs). La preuve éternelle se nomme Moacir Barbosa (1921-2000), principalement connu pour « avoir perdu » la finale de la Coupe du monde de football de 1950 contre l’Uruguay. Un tournoi joué au Brésil. Pour lequel fut érigé le Maracana. La « Selecao » devait gagner. Et Barbosa, gardien noir d’une équipe qui jouait alors en blanc, qui encaissa le but synonyme de défaite, et de cataclysme national. L’homme était le premier gardien noir en équipe nationale. On y vit la clef du drame, et une palanquée de théories raciales réapparut aussitôt au Brésil : les Noirs étant « émotionnellement plus faibles que les Blancs », on ne pouvait, évidemment, « compter sur un Noir dans les buts ».

Maracana 1950, 200 000 places et la plus belle cathédrale du foot mondial. Maracana 2014, ramené à 79 000 places pour raisons de sécurité, et des travaux de modernisation s’élevant à 350 millions d’euros. Les tribunes basses étaient les moins cher, elles ont été détruites, et depuis les pauvres ne peuvent plus venir au stade : on apprend que les places les moins cher pour la finale tournent autour de 780, euros !  Ici, Cantona dit :

 

Le stade est un fantôme du volcan qu’il était

 

Rien à voir, en effet. La « pacification » des favelas de Rio (entendez : la gentrification et les expulsions) et les hausses inconsidérées des prix provoquèrent les manifestations que l’on sait l’an dernier, durant la Coupe des Confédérations. Il est évident que le peuple criera aussi sa colère en juin prochain. Le sacrifice du Maracana originel en est le symbole. Pour un guide du stade, cette évolution a un sens :

 

S’adapter à l’amélioration du niveau de vie de la classe moyenne

 

Pour un autre homme, c’est une trahison :

 

A Rome, on ne permettrait jamais que l’on détruise la basilique du Vatican. Au Brésil, on l’autorise

 

C’est, in fine et comme à chaque opus, la grande richesse du film : à travers le football et une ville, montrer non seulement les racines, mais le futur. La proximité de la Coupe du monde fait de cet épisode, tourné en février dernier, le plus urgent de la série. Car il montre non seulement la gentrification du foot au Brésil, comme partout. Mais il révèle la poudrière, plus encore avec un Cantona qui semble presque naïf, désarmé, devant des habitants des favelas qui témoignent :

 

A Rio, tout ce qui s’appelle « nouveau » exclue le peuple. […] Rio est devenue une ville d’exclusion, élitiste et mercantile

 

 

Cri d’alarme autant qu’ode à tous les possibles sous le soleil, « Looking for Rio » est superbe et indispensable.

 

 
« Looking for Rio » : diffusion mercredi 23 avril, 22h50 sur Canal +. Durée : 66 minutes
Réalisation : Gilles Pérez et Manu Besnard. Ecrit par : Gilles Rof.
Coproduit  par Canto Bros et 13 Productions pour Canal +.

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