22 mai 2014

Le livre de France 98 : génération champion, génération pouvoir

Ce mercredi, on apprenait que Zidane n’irait pas entraîner les Girondins l’an prochain, bien qu’il y ait eu des contacts entre lui et le club. Il y a un mois, on apprenait dans un livre que le même Zidane avait fait acte de candidature pour être sélectionneur des Bleus, après l’Euro 2012. On l’apprenait dans « Champions du monde 98 – Secrets et pouvoirs », qui venait alors de paraître et qui contenait ce scoop.

Faute de temps, je n’avais pu le chroniquer avant. A une vingtaine de jours du début de la Coupe du monde au Brésil, il est temps d’ouvrir un cabinet de lecture autour des (nombreux) livres Foot, dont j’en chroniquerai certains ici.

Commençons par ce livre sur « France 98″, signé de mes confrères Arnaud Ramsay et Gilles Verdez (qui, comme moi, a une double casquette. Lui est journaliste sportif reconnu, et consultant de l’émission hanounesque « Touche pas à mon poste » sur D8).

 

Une association, un sigle, un fantasme

 

« France 98″ est une association à but non lucratif, existant depuis mai 1999, crée par Henri Emile, ancien intendant de l’équipe de France de 1984 à 2004 –il a donc connu les triomphes platiniens et zidaniens, et doit en avoir de bien bonnes aux rayons souvenirs. Elle compte des joueurs de 98, mais aussi des joueurs de 2002, 2004 ou 2006, ainsi que des cooptés.

C’est aussi un sigle, un groupe, une marque, une « appellation d’origine incontrôlée née après la victoire » en Coupe du monde. Les auteurs de poursuivre :

Cette structure est gérée par les Bleus et coordonnée par Henri Emile pour –selon ses détracteurs- défendre leurs propres intérêts et placer le plus possible de leurs membres à des postes stratégiques

 

Jusqu’à une date récente (en gros 2010), on disait souvent que les champions du monde n’avaient pas ce qu’ils méritent, et qu’ils s’étaient résignés à devenir people et consultants médias (on les aurait plaint, pour un peu) car les instances dirigeantes leur restaient fermées. Mais ça, c’était avant, car depuis le fiasco 2010, ils sont sur le devant : Zidane, frais diplômé, est programmé et adoubé au Real, Blanc puis maintenant Deschamps sont à la tête des Bleus. Ce livre veut donc percer un mystère : existe-t-il un lobby France 98 ? Choisit-il les sélectionneurs des Bleus ? Comment les instances dirigeantes lui résistent-elles ?

Il fallait enquêter, raconter. Ce livre le fait. Patiemment, minutieusement. Au cœur d’une génération. Et mène le lecteur au cœur de l’après 98, par ceux qui l’ont vécu.

 

 

Thuram et Desailly refusent les appels

 

En évoquant ces acteurs un par un, les auteurs reviennent sur le destin de joueurs devenus entraîneurs, consultants dans les médias, hommes d’affaires et de pubs. Ils brossent aussi l’évolution d’une profession (le journalisme foot) qui a muté par la peoplisation des experts de plateaux télé, la démultiplication des chaines et des supports, et le nouveau statut des champions sportifs en général.

Un statut énorme, mais trop étroit pour un Marcel Desailly, dont le lecteur verra comment l’ancien « Captain » refusa volontairement de poursuivre sa voie dans les instances fédérales car cela lui aurait fait rompre ses partenariats avec la société de paris Betclic, voire SFR, Lu, Adidas, et les plusieurs autres avec lesquels il jonglait. « Prototype du joueur moderne, Desailly incarne également l’ « Homo footballisticus » décomplexé par rapport à l’argent », lit-on. Quand les auteurs l’ont sollicité, il leur répondit par ce SMS : « Good luck for ur book. I think now u no everything about me. No need too see each other. See u one day » ! Sic. Un texto désinvolte, en Anglais, qui en dit long sur la taille des miroirs et des chevilles chez l’ancien Bleu. Desailly et Thuram sont les deux seuils anciens champions du monde qui ont refusé de répondre aux auteurs.

Le livre retrace et analyse ce que chacun est plus ou moins devenu, individuellement et sportivement. Mais aussi les ressorts psychologiques qui les animent, individuellement, stratégiquement. Car nous parlons de joueurs dont il est désormais acquis qu’ils ne s’aimaient pas tous, ne s’estimaient pas tous. Mais qui, différence avec les petits de 2010, furent capable de trouver un intérêt commun dans un idéal professionnel et utopique : décrocher la lune. Gagner au sport, fut-ce aussi pour gagner plus d’argent.

Unis dans la victoire, moins par la suite. Ainsi, Emmanuel Petit, consultant pour L’Equipe TV et France Télé, et actionnaire d’une agence de marketing sportif. Un homme dépeint comme toujours intéressé par le pouvoir et qui, selon les auteurs ambitionnait « que les champions du monde s’attaquent ensemble aux citadelles de l’establishment du football français et international ».

Ainsi Bernard Lama, le super gardien du PSG, deuxième gardien en 98, qui voulait faire de France 98 une « signature », un engagement militant. Thuram voulait aussi. Une suggestion qui se heurta à un silence gêné.

 

Gènes et gênes

 

La gêne, c’est d’ailleurs ce qui parait avoir dominé par la suite entre les anciens coéquipiers. C’est aussi en cela que la minutie de Ramsay et Verdez prend tout son sens, en retraçant la suite dans les idées de Lama, l’excellence et l’intelligence de Lizarazu, les virages de Leboeuf, les affaires étrangères de Djorkaeff et Henry, l’exil de Pirès, et la sacrée tactique de Deschamps entre 2008 et 2012, ainsi que quasi tous les autres.

La gêne, c’est aussi ce qui transparaît des relations entre les dirigeants du foot français et cette équipe-là, du moins jusqu’au moment où les premiers comprirent qu’ils n’avaient d’autre choix que de laisser entrer les vainqueurs dans les couloirs du pouvoir. A ce jeu-là, le patron de la LNF Frédéric Thiriez semble avoir été le premier à souffler dans le sens du vent, et prendre le parti de Deschamps.

A lire « Champions du monde 98″ entre les lignes, on comprendra aussi l’influence qu’eut Aimé Jacquet sur l’actuel sélectionneur français, et sa façon de bâtir un groupe, non des 23 meilleurs, mais des 23 meilleurs les plus susceptibles d’avancer ensemble.

 

Alors : lobby or not lobby ?

 

Cette association de champions du monde en goguette, si elle existe et se donne bonne conscience (matchs de bienfaisance), n’en constitue pas moins une force occulte, concluent les auteurs. De par les dissensions entre les anciens coéquipiers. Mais surtout parce que les fiascos post-2006 ont, in fine, travaillé pour eux : ils ont tout gagné à ne pas avoir fait partie des appareils en cause en 2008 et 2010. Des fiascos qui leur ont donné une aura providentielle, par défaut pour certains, par justice pour d’autres. De sorte qu’ils n’ont pas eu besoin s’ériger en force concertée pour parvenir aux postes clés du foot français, concluent Verdez et Ramsay :

Ils ne sont pas allés vers le pouvoir, le pouvoir est venu à eux. […] Au final, les Bleus de 98 ont donc engendré l’archétype de la conquête idéale du pouvoir

 

Le prochain chapitre de leur pouvoir commence, indirectement mais par Deschamps interposé, le 12 juin au Brésil.

 


Champions du monde 98 – Secrets et pouvoir d’Arnaud Ramsay et Gilles Verdez, Eds du Moment, 248 p, 18,50 euros


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