01 octobre 2014

Les Hommes de l’ombre» saison 2 : plus corsée, plus dramatique, une série qui gagne en trafics (garanti sans spoiler)

Les Hommes de l’ombre » reviennent ce mercredi soir, sur France 2, et pour trois semaines. Disons-le d’emblée : cette saison 2 est plus dense et meilleure que la première.

 D’autant qu’entre la première saison, diffusée en janvier 2012, et celle-ci, la réalité a comme rattrapé la fiction : en 2012, les créateurs de la série avaient imaginé une société de conseils politiques appelée Pygmalion, et depuis, le public français a découvert l’affaire Bygmalion dans les comptes de campagnes de Sarkozy et de l’UMP… Et ce n’est pas le seul clin d’œil.

Cependant, une telle série montre aussi ses limites devant les deux modèles du genre en télé : « Borgen » et « House of Cards ».

(Teaser Saison 2)

 

De la saison 1….

 
Diffusée début 2012 en trois mercredi (deux épisodes à chaque fois), elle avait rassemblé entre 4,6 et 5,2 millions de téléspectateurs. Crée par l’écrivain et scénariste Dan Franck avec Frédéric Tellier, Charline de Lépone et Emmanuel Daucé, « Les Hommes de l’ombre » rénovaient un peu un genre de la politique-fiction. Car la politique, dans sa réalité quotidienne, a souvent fait peur aux raconteurs (mais moins aux humoristes) : en fiction aussi, sauf à s’exposer à des poursuites, on ne peut pas tout publier, produire ou « sortir » n’importe quel dessous d’un secret d’Etat, d’un échange de bons trafics, d’une influence de loge ou de lobby sur la nomination d’une tel ou d’une telle.

A cela est venu s’ajouter, depuis dix ans, le Web et le storytelling de l’information. Laquelle, feuilletonnée, a pour beaucoup rempli la fonction d’évasion qu’apportait jusque-là la fiction. Ils ont tout chamboulé pour les fictionneurs. La plus prenante des séries politiciennes vues à la télé récemment n’est-elle pas l’affaire DSK ? Comment un scénariste peut-il aisément aller plus loin dans la déchéance, le machisme, le sexe tarifé, la dilapidation de la fortune d’une femme trompée, dans la puissance de la finance mondiale qui tombe au niveau du caniveau, et dans le déni d’un homme s’étant cru socialiste durant des années ?

(Teaser Saison 1)

 

Comment ? Eh bien cette série française apportait une réponse : en mettant l’histoire dans les mains de ceux qui font la politique politicienne. Les communicants. Les « spin doctors ». Ceux à cause de qui les élus se trouvent isolés (de plein gré) dans un monde déconnecté de la réalité. Ceux aussi qui, en fait, prennent le pouvoir sur ces politiques, allant jusqu’à leur inventer des « éléments de langage » qu’ils vont être forcés d’adopter pour durer. Et en politique, durer, c’est trahir.

Ainsi, les deux spin doctors de la série vont-ils se retrouver adversaires. Car soutenant chacun un candidat opposé à l’élection présidentielle. Adversaires puis, dans cette saison comme dans la nouvelle, ennemis. Pourtant, le jeune Ludovic Desmeuze (Grégory Fitoussi) fut l’élève du (légèrement plus vieux) Simon Kapita, lequel l’avait formé avant qu’ils ne se déchirent et qu’il ne lui revende une partie des parts qu’il possédait dans sa propre boite : Pygmalion.

 

Cette saison débutait par une explosion : le président de la République française, en visite à Saint-Étienne, dans une usine gréviste était victime d’un attentat à la bombe, et décédait, provoquant une élection présidentielle anticipée doit se tenir dans les trente-cinq prochains jours. Son Premier ministre Philippe Deleuvre (interprété par Philippe Magnan) apparaissant comme candidat mais refusant de se déclarer trop tôt. D’autant qu’il cherchait à maquiller l’attentat en complot islamiste, chargent sans preuve un suspect trop idéal. Il apparaîtra que le chef du gouvernement sait bien plus de choses qu’il ne le prétend. Un mensonge d’État qui provoquait le retour aux affaires de Simon Kapita (Bruno Wolkowitch), ancien conseiller en communication du défunt président. Soucieux de préserver l’honneur de son ami décédé et une certaine éthique politique, cet « homme de l’ombre » se fixe désormais un objectif : convaincre l’ancienne secrétaire d’Etat aux Affaires sociales, proche du défunt, de se déclarer candidate, et la faire gagner contre Deleuvre : c’est Anne Visage, interprétée par Nathalie Baye.

Une saison qui était de très bonne facture. Consacrée aux guerres de clubs (droite humaniste contre droite cynique, le candidat de gauche étant condamné à des alliances dont on verra ou pas l’efficience…), elle donnait la part belle au spin doctors. C’était la nouveauté, l’écueil (hormis Nathalie Baye, les autres personnages étaient relégués au second plan), et la grande réussite (traitement contemporain, juste sans être complotiste). Elle se concluait sur des visages qui apprenaient les résultats de l‘élection. Sans qu’on le connaisse.

 

….à Pygmalion dans la saison 2

 

La saison 2 débute, elle, par un accident. Celle de l’épouse du Président, qui conduit à moitié bourrée alors qu’elle se trouve avec un jeune éditeur parisien, sur une route de province. Le second meurt. La garde rapprochée du chef de l’Etat choisit d’étouffer l’affaire, et les services de sécurités présents sur les lieux du drame maquillent la mort de l’éditeur. Cela provoquera une culpabilité grandissante chez une Première dame (interprétée sobrement et magistralement par Carole Bouquet) bipolaire, dépressive, alcoolique, et se demandant quoi faire de son rôle.

Peu après, le Président doit lâcher son ministre de l’Intérieur (joué par  Olivier Rabourdin, parfait), mouillé dans un scandale financier. Par éthique, le locataire de l’Elysée choisit de sacrifier celui qui l’a toujours accompagné, ami de toujours dont la vengeance sera « entretenue » par les ennemis.

 

Nous sommes ici un an après les élections présidentielles, perdues par Anne Visage. Le nouveau président de la République est l’ancien candidat de gauche, Alain Marjorie (Nicolas Marié). Philippe Deleuvre est toujours dans les parages, prêt à tout pour faire tomber l’homme de l’Elysée. Ludovic Desmeuze, toujours son conseiller, n’hésite pas à s’attaquer directement au talon d’Achille du président, sa femme, et creuse, creuse.

Pour étouffer les deux affaires susmentionnées, le Président embauche pour sa part le conseiller de son adversaire électorale : Simon Kapita est alors rappelé à l’Élysée pour organiser la parade médiatique, contre l’avis de la secrétaire générale, Gabrielle Tackichieff (Aure Atika).
Kapita vs Desmeuze, saison 2. Mais ces six épisodes vont, en plus du développement des affaires déjà signalées, au gré des arrangements avec le centre-droit, d’une crise d’orages français en Algérie (ce, donc, peu après le drame d’Hervé Gourdel), d’un intermédiaire véreux, des vies et métiers de l’ex de Kapita et de sa fille, de la vie privée de la Secrétaire générale. La tension monte, jusqu’à un dernier épisode remarquable.

Pourtant, cette deuxième saison n’a pas été sans problèmes. Annoncée sans la goulée du succès de la précédente, Dan Franck en avait écrit les six épisodes quand, en février 2013, Nathalie Baye annonça se retirer du projet. L’écrivain devant tout réécrire, imaginant un nouveau personnage (l’épouse du président), la production trouver une autre tête d’affiche, et reculer le tournage. Bientôt, Franck quittera lui aussi le projet, suivi de Tellier. Trois nouveaux scénaristes sont donc aux manettes de la nouvelle livraison : Marie Guilmineau, Sylvain Saada et Pauline Rocafull.

Défaut de réalisme psychologique : c’est en la politique qu’il faut nous faire croire, pas en les hommes politiques

 

 
Bien qu’elle patine en son début, cette saison parvient à contrecoller parfaitement ensemble des strates narratives riches, et qui apparaissent sans cesse. Une densité remarquable, qui contraste cependant avec des dialogues plats, souvent plus dramatisés que la scène qu’ils illustrent, et qu’on aurait aimés aussi opaques que le monde tourbeux et cyniques du milieu professionnel de la série : la politique politicienne. C’était la grande réussite de « House of Cards », et on aurait aimé en voir la traduction française. Les scénaristes semblent avoir oublié que, depuis une génération, les citoyens français ont définitivement intégré le fait que la politique est faite par des « clubs » (partis, lobbys, loges, clans) qui sont vivent dans leur propre panier de crabe, en qui ils ne croient plus… et en qui la fiction n’a pas comme rôle de forcément nous faire croire. Elle peut tenter, mais elle n’y est pas obligée : les citoyens n’éprouvent plus de condescendance que pour un homme d’État, pas pour un président, un ministre, un homme politique. Et depuis l’ère Sarkozy/Hollande, la France n’a plus d’hommes d’Etat au pouvoir.

On pourra également regretter que l’essentiel des enjeux décisionnaires concernent la politique étrangère (diplomatie, terrorisme, otages, rançon) et nullement la politique nationale : pas question de pouvoir d’achat, de Smic, de Medef, ni même d’antisémitisme, de racisme, ou d’ascension électorale du Front National. Cette dernière thématique étant, dans une politique-fiction française, gravement dommageable.

 
Le personnage de Kapita est quant à lui trop gentil, trop compassionnel, trop schématique. On n’est pas spin doctor avec tant d’humanité. Certes, il fallait contraster avec son alter ego Desmeuze, mais celui-ci devient trop peu travaillé dans cette nouvelle saison, tant Kapita apparaît comme l’homme qui tombe toujours à pic.

Dernier élément de la colonne des – : il est question de médias, mais à aucun moment des réseaux sociaux, qui sont pourtant ce qui a révolutionné la profession des journalistes comme des spins doctors.

Pour le reste, que du +.

 

(Extrait)

 

 

Pour une fois, un Président est le meilleur rôle et le meilleur acteur de l’histoire

 

Malgré ce défaut de réalisme dans le traitement de quelques archétypes et personnages, on soulignera la qualité de réalisme dans le milieu professionnel étudié : à aucun moment, la série de surjoue le conspirationnisme dans les connivences entre politiques, médias, hommes d’argent. Autre détail « vrai » et subtilement mis en scène : un Premier ministre absent un ministre des Affaires étrangères de même, et les autres ministres guère mieux. Ici, tout se décide entre la secrétaire général, le spin doctor Simon Kapita, et le Président.

Le Président est tout à fait crédible et moderne en homme ayant des convictions et une forme d’éthique politique, sans pour autant se faire aucune illusion sur le marigot dans lequel il patauge. Les arrangements qu’il prend avec sa conscience sont d’abord dictés par les circonstances, et non par un esprit retors et machiavélique. Son adaptation aux circonstances, politiques comme privées, iront croissant durant la saison, et donne du coffre à l’histoire : il deviendra chef d’Etat en se révélant chef de couple.

Cette idée de faire de la politique avec cynisme mais propreté, c’est-à-dire avec une sorte de distinction mitterrandienne, est partagée par son adversaire et opposant, Philippe Deleuvre. Quand son propre gouvernement cède aux vengeances et aux facilités.

Autre réussite, le traitement de l’isolement que provoque le fonctionnement de nos institutions « présidentialistes » en France. Suggéré : l’inadaptation du temps constitutionnel au temps réel de la société et de la civilisation. Ici, Marjorie est fondamentalement seul, d’autant que sa femme déraille. Son univers est celui de la solitude, et il n’a que ses idées propres et la culture pour opérer ses choix. A ce titre, la scène finale est symbolique –et d’une beauté absolue.

(Extrait 2)

 

Bilan : une série hyper réussie, mais qui doit plus comprendre… ses propres téléspectateurs

 

Si, comme je l’ai écrit plus haut, la production semble ne pas avoir compris que le public des séries modernes est d’une génération qui ne croit plus en un monde propre, on soulignera la qualité psychologique, le traitement du Président, de son épouse. On saluera le virage : moteurs de la saison 1, les communicants ne sont plus ici les héros. Ils sont, comme le personnel politique, à la remorque du temps. Bref, « Les Hommes de l’ombre » rend crédible des personnages sans les humaniser, à l’exception bénéfique du couple présidentiel et (plus triste) de Kapita. C’est pourquoi ils restent crédibles là où ils sont : en fiction.
On apprenait ce mercredi matin qu’une nouvelle saison était d’ores et déjà lancée.

 

 

Les Hommes de l’ombre. 6 épisodes de 52 mn.
Diffusion: France 2. A partir du mercredi 1er octobre, 20h45.
Réalisée par Jean- Marc Brondolo. Scénario de Marie Guilmineau et Sylvain Saada, avec la collaboration de Pauline Rocafull. Adaptation et dialogues de Marie Guilmineau. D’après les personnages de Dan Franck.
Avec Carole Bouquet, Bruno Wolkowitch, Aure Atika, Grégory Fitoussi, Nicolas Marié, Yves Pignot, Olivier Rabourdin., Philippe Magnan.

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