15 août 2012

France-Uruguay 1985, pour une ode à José Touré et Enzo Francescoli


Ce soir, c’est France-Uruguay, un match amical qui se déroulera au Havre, dans un Stade dont le nom (Stade Océane) fait écho au surnom des deux équipes : les Bleus et la Céleste.

Ce sera seulement la septième confrontation entre les deux équipes. La première remonte à 1924, à Colombes, lors des jeux Olympiques de Paris.

Les sud-américains battirent la France 5-1, avant de remporter le tournoi… pour la deuxième fois. En ce temps-là, l’Uruguay était la meilleure équipe du monde : champions olympiques en 1924 et 1928, ils remportèrent aussi la première Coupe du monde, qui fut d’ailleurs organisée chez eux. On se rappelle que, plus tard, ils gagnèrent le trophée en 1950, à Rio, devant un peuple brésilien médusa par la fautez de son gardien Barbosa.

En 1966, en 2002 et en 2010, Français et Uruguayens figuraient dans la même poule lors de la Coupe du monde. La première fois, la céleste gagna 2-1. Les deux autres matches furent de très tristes 0-0 : on se rappelle l’expulsion de Thierry Henry et les Bleus suspendus à la cuisse de Zidane en Asie, et l’équipe minée de l’intérieur et bonne à rien en Afrique du Sud.
En novembre 2008, un match amical au Stade de France déboucha aussi sur un triste 0-0.

La France n’a à ce jour gagné qu’une seule fois contre son adversaire du soir. Mais c’était avec les formidables Bleus de 1982-86. C’est ce France-Uruguay-là auquel  je pense.

C’était en août 1985, au Parc des Princes. Un an auparavant, la France avait été sacrée championne d’Europe, et avait enterrée les démons de Séville. L’équipe de France était une des meilleures équipes du monde, et peut-être la plus belle.
L’Uruguay, au jeu tantôt magique tantôt boucher, n’en était pas loin. Qui, l’année précédente, avait remporté la Copa America, et la remporterait à nouveau en 1987.

Ce soir du 21 août 1985, c’était donc la Coupe internationale des nations, qui se jouait alors entre le vainqueur de l’Euro et celui de la Copa. En 1997, ce match a laissé place à une compétition sans grand intérêt : la Coupe des Confédérations.

Ce 21 août là, Michel Platini, Enzo Francescoli et José Touré étaient sur la pelouse. Trois magiciens.

Lorsque je pense France-Uruguay, comme aujourd’hui, c’est à ce match là que je pense.

Les Bleus, entraînés par Henri Michel depuis un an, jouaient un jeu de rêve, qui devait en faire les champions du monde l’année suivante. Dans les buts : Joël bats. En défense : Michel Bibard, William Ayache, Yvon Le Roux, Thierry Tusseau (qui évoluait en milieu récupérateur) et Max Bossis. Milieux : Luis Fernandez, Michel Platini, Alain Giresse. Devant : Dominique Rocheteau et José Touré. Ce sont d’ailleurs ces deux là qui marquèrent les deux buts français.

 

José Touré, le Yannick Noah du football

Le second but des Bleus, l’œuvre de Touré sur une passe de Giresse, est typique.

 

Un but typique du celui qu’on surnommait alors « le Brésilien ». Un homme passé de l’ombre à la lumière en très peu de temps (1980-1983). Un homme entré dans l’inconscient collectif des amoureux du beau jeu le 11 juin 1983, lorsqu’il marqua le plus beau but marqué en finale d’une Coupe de France (contre le PSG) : sur un centre d’apparence anodine de feu Seth Adonkor, Touré contrôla de la poitrine, dos au but, enchaîna une jongle du pied gauche, puis une du droit pour se retourner, et de marquer du gauche un but tout brésilien.

C’est suite à ce but que la porte des Bleus s’ouvrit à lui. Touré disait lui-même être un « Métis du sud », comme il l’écrivit dans son autobiographie parue en 1994 :

« un cocktail de rêve, un quart Black Star, un quart Squadra Azzura, un quart Olympique de Marseille. […] Moitié africain par mon père et moitié napolitain, moitié marseillais par ma mère »

Tout semblait indiquer qu’il serait la star de l’Euro 1984, qui allait se disputer en France. C’était oublier que le jeune Touré était fragile : une première (légère) blessure le priva du tournoi, et de cette gloire.  Il fut tout de même champion olympique à Los Angeles, en août.

Rebelote en 1986, alors qu’il était redevenu l’attaquant spectaculaire des Bleus, ayant activement participé à la qualification pour le Mundial mexicain. Lors d’un match de Coupe d’Europe contre l’Inter Milan, il se blessa grièvement au genou. Éloigné des terrains pour six mois, il se consacra à sa rééducation et à sa passion pour les fringues, pour l’art et pour les livres d’art-déco.


Dans les années 1980, Touré était, avec Francescoli et Susic, ce qu’on pouvait voir de plus beau sur les pelouses de Première division françaises. Homme à l’ADN maudit, il poursuivit ensuite une carrière en deçà de son niveau, joua à Bordeaux et Monaco, tomba dans la coke, se fit avoir par ceux qui le « conseillaient », et stoppa tout en 1990. Il avait 29 ans…

« Une seule valeur sûre régnait sur mes nuits et celles de mes complices de dérive, la coke, cette pute, si chère et si froide… », écrivit-il dans son livre.

Symbole vivant du « jeu à la nantaise », l’équivalent d’alors au football barcelonais, deux fois champion de France en trois ans, mais auteur d’une carrière très brève, José Touré fut au football ce que Yannick Noah fut au tennis : un Noir en dehors des clous, capable de loger une balle là où personne n’aurait songé qu’elle put même aller.

Tribute to Francescoli

Savez-vous pourquoi Zidane, oui, ZZ, a prénommé son fils Enzo ? Parce que, ado marseillais qu’il était, Zizou vit Francescoli à l’œuvre, au vélodrome, lors de son bref passage à l’OM. Et qu’il en eut une révélation.
La vie de Zidane, comme sa geste, doivent beaucoup à l’Uruguayen Enzo Francescoli. Qui, ce 21 août 1985, menait le jeu de la céleste face aux Bleus de Platini et Touré.

Francescoli, un joueur repéré très tôt en Amérique latine, et qu’un journaliste, se mettant à chanter une strophe d’un tango intitulé « Príncipe » (« Príncipe soy, tengo un amor y es el gol », c’est-à-dire « Je suis un prince et le but est mon seul amour »), lui donna ce surnom, symbole de classe, de légèreté, mais aussi de tristesse et de mélancolie.

Plus beau joueur et meneur de jeu de l’Uruguay des années 1980, qui comme les Bleus allèrent loin mais n’atteignirent pas le sacre qui leur était permis, Francescoli céda en 1986 aux sirènes de Jean-Luc Lagardère, qui reconstruisait un Racing Club de Paris digne de ce nom. Il fit alors partie de la nouvelle constellation de stars ciel et blanc de Paris. Il fit étalage de son beau jeu. Mais, on le sait, ce premier projet de galactiques à la française, le même que le PSG d’aujourd’hui, fut un bide. Puis vint le jour où Bernard Tapie racheta l’Uruguayen pour près de 20 millions de francs (colossal, à l’époque), qui rejoignit la Canebière en même temps que Chris Waddle. Ce dernier se mit à cartonner après des débuts délicats, et éclipsa l’Uruguayen dans l’opinion. Pourtant, Francescoli fut un joueur régulier, virtuose. C’est à ce moment qu’un petit gars de la Castellane en fit son idole…

 

Francescoli ne passa malheureusement qu’une seule saison (1989-90) à Marseille, mais il fut de cet OM d’or des années 1989-1990, peut-être le plus équilibré de tous les collectifs phocéens. L’Urugayen est néanmoins maudit : lâché par Tapie qui le poussa vers la sortie pour faire revenir Abedi Pelé, il fut de cette épopée européenne qui échoua sur la main de Vata, et ne connut pas 1993.

 

Francescoli, Touré, tous deux maudits, tous deux nés en 1961. Tous deux présents dans ce France-Uruguay de 1985.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire