26 août 2012

Rentrée littéraire française : la très bonne descente de Claro

Premier TTGC (Très Très Gros Coup de Cœur) de cette rentrée littéraire sur le Pop Corner.

 

Outre les livres dont j’ai parlé * dans le nouveau numéro de Lire, consacré à la rentrée française, ainsi qu’ailleurs, le Pop Corner se fera lui aussi l’écho de quelques coups de cœurs et des actualités de cette rentrée.

On commence donc aujourd’hui avec « Tous les diamants du ciel », qui paraît chez Actes Sud. Quand j’ai commencé à « lire la rentrée littéraire » (expression typique de notre jargon), début juin (calendrier tout aussi typique), ce fut un des premiers romans français que j’ai lus. Il s’est imposé comme un TTGC, et l’est resté.

C’est le dix-huitième livre d’un homme, Claro, présent dans la rentrée à plusieurs titres : il a en effet traduit deux autres romans de cette rentrée, les nouveaux Viken Berberian (Eds Au Diable Vauvert) et Chuck Palahniuk (Eds Sonatine). Car le susnommé Christophe Claro, qui signe Claro tout court, est aussi éditeur (aux éditions du Cherche-Midi), et est un traducteur de grande envergure, à qui l’on doit entre autres des traductions de Salman Rushdie, James Flint, Hubert Selby Jr, Dennis Cooper, William T. Vollmann, William Gass, Thomas Pynchon ou Mark Danielewski.

C’est dire si les mots obsèdent celui qui écrivait dans son superbe roman précédent :

Oui, vraiment, l’allégresse est un muscle.

Et dans « Tous les diamants du ciel », il y a du muscle, il y a de la chair, de l’envie, de la démesure, de l’incarnation, des torsions, de l’incantation, de la métaphore. Des histoires. Un l’élan. Un trouble. Un geyser.

 

Dingo

Le projet de base est dingo : lier une défonce collective au pain, en France, et la création puis l’utilisation du LSD par la CIA.

C’est en 1951 qu’on pénètre dans le roman. Au lendemain de l’Assomption. Par la « Grand’rue qui fend Pont-Saint-Esprit ». Dans le fournil du boulanger Roch Briand. Et Claro de débuter son livre par une page superbe de matière vive, chaude, physique autant que spirituelle : une pâte devient pain. Dans cet incipit, tout crépite. Il en sera de même tout le roman durant.
A Pont-Saint-Esprit, donc, c’est le jeune Antoine que découvre un lecteur déjà accroché. Un enfant adopté, mal aimé, qui oscille entre plaisir coupable de la chair, déprime et mysticisme fruste (« Il s’était lancé dans un projet assez fumeux –l’adolescence a de ces rêves comptables, qui souvent s’égarent dans des délires d’exhaustivité. Il voulait calculer le poids de Jésus à l’heure de la crucifixion et le convertir en hosties »). Le garçon, qui est à l’essai chez Briand, s’en trouve donc le premier à ressentir les effets du « pain maudit », issu de la fournée de ce lendemain d’Assomption. Antoine, puis des centaines de personnes, puis toute la ville sombre dans la démence. La défonce. Ou, pour certains : le Mal.

Saut de puce, mais pas saut dans le temps : le livre nous mène ensuite aux USA, où la CIA s’intéresse aux hallucinations provoquées par un alcaloïde de l’ergot de seigle, l’ergotamine, présent dans une nouvelle drogue : le LSD. Dans la continuité des programmes Paperclip et Bluebird, il convient de tester ce produit sur des cobayes humains. Et pour dégotter ces derniers, il faut des aguicheuses. Lucy, une adolescente qui a fui le domicile familial pour aller tenter sa chance à NewYork, deviendra une des multiples prostituées chargées de rabattre des quidams et de les « doser » à leur insu.

En quelques années les projets de la CIA auront pris une autre envergure, et il conviendra de calmer quelques agents et aguicheuses en exercice.

Révolution culturelle et exploration défoncée

En quelques dizaines de pages, Claro a installé les ingrédients de son roman d’espionnage. Et va développer ce qu’il adore composer : des explorations hallucinées de l’histoire, à base de théories conspirationnistes détournées, de culture, de détails réels et typiques de l’époque dont il se saisit.

Commencé dans la France d’après-guerre, “Tous les diamants du ciel” se dilate ensuite jusqu’au fameux Summer 67, puis l’après mai 68 en France. Atmosphère dans laquelle se télescoperont Antoine et Lucy. Cette dernière a ouvert à Pigalle un sex-shop baptisé Les Sept Délices. Antoine, lui, toujours défoncé ( !), et échappé d’un HP,

inaugura l’été 69 en crève-la-faim n’attendant de la République qu’une seule chose : qu’elle l’oublie.

Antoine est victime des prémices d’un projet dont Lucy n’est qu’un agent. Un projet qui les dépasse tous deux.

Pont-Saint-Esprit était le nom de code d’une nouvelle façon de traiter l’homme, une énième variation dans l’écriture de son désastre permanent.

Et pendant qu’ils se racontent, qu’ils se rencontrent, les voilà coursés.

Cependant, Claro ne se contente pas d’une course poursuite, d’espionnage, de romance larvée, ni même de conspirationnisme détournée.

Comme il avait baigné “CosmoZ”, son roman historique et freaks, dans l’histoire du cinéma et de la Seconde guerre mondiale, il mélange ici son intrigue à la révolution culturelle des années 1960/70, comme en témoigne le prénom et le sort de Lucy. Claro a une façon bien particulière de faire évoluer ses personnages dans leur propre histoire, tout en reliant celle-ci à ce qui apparaît comme un détail que le lecteur sait essentiel (cette façon d’évoquer les premiers pas de l’homme sur la Lune…).

Il y a peu de sons dans “Tous les diamants du ciel”, mais on y entend, suggérés, Neil Young et les Doors. Des rocks endiablés et planants, dont les échos lointains témoignent du pouvoir d’incantation de Claro.

Giono + Pynchon = Claro

Ici, la langue est tantôt très poétique, tantôt assez rock, et parfois aussi un peu grand siècle. Claro écrit de façon trop maniérée parfois, trop prisonnier qu’il est encore de ses propres références, et comme retenu par les fils de ceux qu’il traduit. Mais on sent à cela aussi qu’il prend un pied fou en composant.

Ici, la langue subit elle-même les distorsions que la drogue fait subit au psychisme. Une énergie qui est une hallucination narrative au service de la liberté de ses personnages. Une narration très vivifiante.

Il y a autant de Pynchon que du Artaud, du Giono, du Burroughs, du Baudelaire.

Comme dans « CosmoZ », il y a plus d’un monde dans « Tous les diamants du ciel ». On parle alors de littérature.

Tous les diamants du ciel, Actes Sud, 250 p, 20 euros

 

* Il s’agit des romans de « L’Amour sans le faire » de Serge Joncour (Flammarion), « Rue des voleurs » de Mathias Enard (Actes Sud), « Autobiographie des objets » de François Bon (Seuil) et « Parfums » de Philippe Claudel (Stock)



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