29 août 2012

« Superstar » de Xavier Giannoli : une transposition littéraire réussie

Kad Merad et Cécile de France dans les rôles principaux, Xavier Giannoli à la réalisation (dont on se rappelle le superbe premier long métrage, en 2003 : « Les Corps impatients ») : « Superstar » est un des films très attendus de cette rentrée. Il est, en outre, un des deux films français en compétition dans le cadre de la 69e Mostra de Venise, qui s’ouvre ce mercredi.


« Superstar » est un film « librement adapté » d’un roman paru en 2004, « L’Idole » de Serge Joncour. Ce dernier fait d’ailleurs paraître en cette rentrée son nouveau roman : « L’Amour sans le faire » est un de mes grands coups de cœur ; on peut lire mon portrait dans Lire de septembre, et l’édito de François Busnel dans L’Express.

Entre « L’idole » et « Superstar » – L’homme qui ne voulait pas être célèbre », huit ans ont passé. Lorsqu’on sait que le thème du livre est l’apparence, la médiatisation et la célébrité, ces huit ans deviennent une éternité.

2004 : tout le monde voulait être connu

Le roman est l’histoire d’un certain Georges Frangin, célibataire looser et chômeur. Or, un jour, alors qu’il marche dans la rue en bas de chez lui, tout le monde le reconnaît, le congratule, lui lance des sourires admiratifs. Il cherche alors à comprendre : avec qui le confond-on, quelle maladie a-t-il attrapée, de quelle nouvelle star serait-il le jumeau, serait-il le messie d’une nouvelle civilisation née pendant la nuit ? En rentrant chez lui, il se voit… à la télé, où on l’annonce comme invité pour un livre ! Et de se mettre à interroger plus ou moins indirectement passants et voisins, afin de savoir ce qu’il a éventuellement dit, fait ou écrit qui vaille cette reconnaissance qui va vite devenir vénération. Ceux-ci ne comprennent pas : l’essentiel n’est-il pas d’être célèbre, que ce soit pour une raison… ou pour aucune raison ? N’est-ce pas là le graal ? Un producteur de télévision, ne recevant que dans sa limousine, va alors devenir son contact. Et Joncour de composer l’histoire d’un type qui était déjà, et va devenir encore plus, « étranger à personne. Sinon à lu », sans révéler çà son elcteur si Frangin est un produit fabriqué ou pas.

Lorsque Joncour a écrit l’histoire de cette course à la gloire et de cette hallucination collective, soit vers 2002-2003, on était en pleine explosion de la téléréalité. Tout le monde voulait devenir connu. On pouvait devenir une Nouvelle star, une Graine de star, sans rien faire d’autre que d’obéir à des codes de production télé et de transgresser quelques interdits devant une caméra. Loana n’est devenue célèbre que pour avoir été la première à passer à l’acte dans une piscine, et on a vu ce que donne ce produit télévisuel 100% manufacturé.

2012 : tout le monde peut être connu   

Dans « Superstar », il y a la télé, une journaliste (Cécile de France), un animateur, un producteur et un patron des programmes. Le parcours de la rumeur, la façon de faire de transformer une anecdote individuelle en symbole universel puis en info, et enfin en traitement de l’information est un des thèmes du film. La petite cuisine d’une grosse chaîne de télévision est un de ses propos.

 


SUPERSTAR – Bande-annonce par wildbunch-distrib

 

Mais « Superstar » ne parle pas de téléréalité, puisque c’est maintenant dépassé. Le film, où le personnage ne s’appelle plus Georges Frangin mais Martin Kazinski. Il lui arrive cependant la même chose, à ce détail près qu’il ne sera pas seulement reconnu dans la rue : il sera filmé dans le métro, avec des smartphones. Des vidéos mises en ligne instantanément sur le web, relayées par la presse autant que par les réseaux sociaux.
Dès le début, Giannoli place son homme au cœur d’une incompréhensible folie collective. La suite de l’intrigue, la réflexion sur l’identité d’un individu dans une époque qui n’en a plus, l’analyse de la course au vedettariat, la fabrication d’une star, et de la célébrité warholienne est la même que dans le livre.

Mais, huit ans après Joncour, tout le monde ne rêve plus de devenir célèbre. Ou alors autrement. Puisque dorénavant, grâce aux réseaux sociaux et aux technologies actuelles, tout le monde peut devenir reporter, et tout le monde peut devenir célèbre.

Giannoli ne parle pas que de la télévision, il parle aussi d’internet. Le film traite aussi de la coupable course au buzz à laquelle cède parfois le web, y compris les sites d’informations. Voyant « Superstar », on ne peut que penser aux fausses morts annoncées sur la toile (en vrac, Sevran, Delon, Garcia Marquez). Courses au buzz et rétropédalages. Dans ce cas, une seule victime : l’info.

Banal, normal, indigné

Giannoli a eu l’intelligence de faire résonner son film avec des « éléments de langage » sans cesse entendus. Un exemple : dans son premier direct, Kazinski doit répondre à une question de l’animateur qui lui demande comment tout ça lui est arrivé à lui, homme « banal ». Invité sur le même plateau, un rappeur aux paroles soi-disant violents, prétendant que ses paroles sont violentes parce que la société elle-même l’est, intervient et prend l’animateur à parti :

C’est un insulte, d’être banal ?

L’animateur est pris au piège, devra s’excuser. Banal va devenir une revendication. Dans un supermarché, Martin se fera approcher par des gens ainsi :

On est avec vous. Vous êtes formidable ! C’est extraordinaire d’être banal !

Et de reprendre tous en chœur :

On est tous banal, on est tous banal

Tout ça est filmé par des smartphones.

De même, lorsqu’il en aura ras-le-bol, Kazinski criera. Photographié, ce cri deviendra une indignation.

De banal, il devient un indigné.

Le film a été écrit avant la victoire de François Hollande le 6 mai, mais l’homme banal fait écho au président normal.

Si le développement de l’histoire est trop attendu, le film vaut par la justesse et la sobriété avec lesquelles les acteurs incarnent le propos. Ce film est un film très compris par les comédiens, donc bien campé.


Film grand public (je vous jure, ce n’est pas une insulte !!) aux propos justes et aiguisés, « Superstar » fait mieux qu’adapter linéairement « L’Idole » : il le transpose intelligemment.

C’est donc, en fait, une vraie bonne adaptation littéraire.

Car elle donne, aussi, envie de lire « L’Idole » en même temps que d’en voir le film. Je vous  le conseille. Comme je conseille Serge Joncour.

>> Superstar de Xavier Giannoli, en salles le 29 août, durée : 1h52
>> L’Amour sans le faire de Serge Joncour, Flammarion, août 2012, 320 p, 19 euros
>> L’Idole, disponible en poche chez J’ai Lu

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