08 octobre 2013

«Looking for Athènes» : le foot et la crise grecque racontés par Cantona

Un rappeur assassiné par un militant fasciste d’Aube dorée, une télé publique qui s’éteint en pleine nuit, des citoyens lâché par toutes leurs classes politique et délaissés par le continent dont leur pays fut un fondement : telle est l’actualité de la Grèce.

Une actualité éclairée sous un angle autant sportif qu’historique, citoyen et politique dans le nouvel opus des « Looking for … » avec Eric Cantona, diffusé ce mercredi 9 octobre sur Canal + : « Looking for Athènes », tourné en trois semaines à l’occasion du dernier derby entre l’Olympiakos et le Panathinaïkos, le 14 avril dernier.

Le sens du derby

En football, un derby oppose plus que deux clubs d’une même ville : il oppose deux quartiers, deux communautés sociales, deux religions. Deux mondes et deux histoires. On ne gagne pas un derby : on remporte une bataille. Même s’il réalise une saison pourrie, un club ‘une cité aura sauvé son honneur, donc une partie de la saison, s’il vainc au derby.

Dans les villes où le foot a droit de cité, les derbys sont deux dimanches sacrés, cochés, plus que fériés. On parle ici de ces villes, capitales, mégapoles, à qui l’histoire a donné au moins deux grands clubs. C’est Manchester, Rio, Milan, Rome, Madrid, Londres, Milan, Barcelone, Athènes.

Ces derbys illustrent l’histoire d’une ville, mais aussi d’un pays. Par eux, on peut aussi décrypter l’actualité politique d’un pays.

« La mère de toutes les batailles »

L’AEK, l’Olympiakos et le Panathinaïkos sont les trois clubs de la capitale grecque. Mais le premier, actuellement en troisième division, est le benjamin, fondé en 1924. A Athènes, tout se joue entre le « Pana » et l’Olympiakos.

Voici presque neuf décennies que les deux clubs se tirent la bourre sur toutes les surfaces, en football, en basket-ball, en volley, en water-polo. Footballistiquement, l’Olympiakos, c’est 40 titres de champion, contre 26 pour le Panathinaïkos. Deux géants qui se haïssent, et dont « Looking for Athènes » montrent que la haine fait intrinsèquement partie de leur rapport, de la naissance à aujourd’hui. Une haine qui passe par une mort : en 2007, un jeune supporter du « Pana », âgé de vingt-deux ans avait été poignardé par des fans du club du Pirée.
Réalisé par Théo Schuster, coécrit par ce dernier avec Gilles Rof (un confrère dont je parlai ici, et qui a donc déjà travaillé avec Eric Cantona), raconte cet antagonisme local et universel.

Quand l’Olympiakos vit le jour, en 1925, le Panathinaïkos existait depuis ce 3 février 1908. Le cadet était le club de la ville, le club des bourgeois, aussi. A cette époque, le Pirée était un port, mais aussi une ville. Une cité qui grossit avec le développement de l’activité, et avec les migrations. Son club était celui des ouvriers travaillant au port. Plus tard, la capitale grecque grossirait, et de ville, le Pirée devint un quartier de la capitale. De lutte entre voisins, le match entre les deux équipes devint un derby, donc une guerre sociale. « Le derby des éternels ennemis », comme il est dit ici.

 

Dorénavant, les deux clubs sont tenus par de riches propriétaires. L’Olympiakos domine le Panathinaïkos. Mais sur le plan historique et continental, seul le second atteint une finale de coupe européenne : la finale de la Coupe des Clubs Champions 1970-71 perdue contre l’Ajax de Cruyff et du football total.

 

La grande qualité de ce film repose, comme tous les autres, sur la force émotive de certains témoins :

  • ce vieux supporter qui pleure lorsqu’il revient sur le vieux stade du Pana
  • ces commerçants dont le ton, et la désertion du commerce, montre à lui seul la crise
  • ces supportes expliquant clairement leur organisation et les fondements de celle-ci…
  • … et montrant leur mauvaise foi (comme tout supporter digne de foi) d’ultras
  • ce père de famille dont chacun des deux fils supporte un des ennemis
  • les présidents de clubs

 

La narration repose quant à elle sur des origines clairement expliquées, et sur tous les évènements clairement présentés:

 

  • la dictature qui se ressouda à ouvrir les frontières une fois, une seule : pour que les supporters du Pana accompagnent leur équipe pour la finale européenne de Wembley
  • … avant de coller une amende aux joueurs, qui ont perdu !
  • le football qui doit attendre 1974, et la fin de la dictature, pour devenir professionnel
  • ce volet sur le drame de la « Gate 7 », qui donne son nom à, un groupe de supporters ultras organisés
  • les présidents fantoches (Georges Koscota)
  • la victoire grecque à l’Euro 2004 (« le plus grand miracle du foot depuis son  invention au 19e », dit un témoin), miracle poursuivi jusqu’aux J.O. la même année et les 11 milliards d’euros dépensés. Avant de continuer par une crise qui dure en 2008. Malgré Djibril Cissé (témoignage de joueur le plus fort, au milieu de Boomsong ou Karembeu)…

 

Athènes, comme la Grèce, est comme toutes les villes de football. Les équipes de Rof et Schuster construisent une histoire qui va de J -8 au jour J du derby. Un jour où, à l’arrivée des bus des joueurs, une bombe agricole explose. De Cissé à Yaya Touré en passant par Rivaldo, Platon, Socrate, Karembeu, joueurs, entraîneurs, ultras, supporters, le tout raconté par Cantona lequel, dans son élément au sein d’une histoire méditerranéenne a, comme parfois, tendance à surjouer un peu la dramatique de l’affaire ; tel, est le personnage et c’est pourquoi on l’aime) en ont montré la singulière universalité.

 

Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo

 

Une série d’enfer

Débutée le 23 mai 2010, avec Canto comme narrateur-promeneur, la série des « Looking for… » est une superbe idée, mariant histoire et pédagogie, sport et culture. C’est l’exact équivalent télévisuel de ce genre littéraire qu’on appelle « creative non-fiction » : construire un reportage comme on chapitrerait une fiction, faire d’une histoire vraie une épopée. En Grèce, une telle dimension prend tout son sens.

Homme et symbole, réel et abstrait, personnage et sujet (dans le film « Looking for Eric », réalisé par Ken Loach tot comme « Looking for Manchhester »), chose et son contraire, réel et hypertrophie du réel, Cantona n’est pas un homme : il est une métaphore. Il était donc le vecteur idéal pour cette série.

Après « Looking for Manchester » en 2010, la série et son narrateur poursuivirent la visite des derbies : Buenos Aires, Milan, Manchester, Barcelone, Istanbul, et donc Athènes. Gilles Rof, un des deux auteurs du film athénien, précise que le choix de cette dernière fut

dicté par notre volonté (Canto Bros/13 Productions) de parler de la crise grecque. Nous avons une liste de derbies à traiter (Soweto, Rio, Moscou, Seville, Madrid, Rome, Alger, etc..), mais la Grèce s’est imposée comme une priorité, surtout au sortir des Rebelles et avec les différentes prises de position d’Eric sur les banques et la crise financière

Précisant aussi que :

La prochaine étape est Rio… L’épisode devrait être bouclé pour la coupe du monde

 

Cet épisode, comme toute la série, est ce qui montre que le football est une culture, un langage. Une politique.

C’est superbe, et ça dure un peu plus d’une mi-temps. Cinquante-deux minutes exactement. Indispensable.

 

« Looking for Athènes » : diffusion mercredi 9 octobre, 20h45 sur Canal + Sport
Durée : 52 minutes
Réalisation :Théo Schuster. Ecrit par : Gilles Rof et Théo Schuster
Coproduit  par Canto Bros et 13 Productions

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire