04 décembre 2013

«Zulu» de Jérôme Salle : l’Afrique du Sud et Caryl Férey très bien adaptés

 Coincé entre « Casse-tête chinois » de Klapisch et la superbe «Jalousie» du non moins superbe Philippe Garrel, un autre film français est sorti ce mercredi : «Zulu». Il ne se passe  ni à Paris, ni à New York, mais dans une ville moins visitée par la fiction occidentale : Cape Town, Afrique du Sud.

 

 

(Voir la bande-annonce)

 

Projeté en clôture du dernier Festival de Cannes, réalisé par Jérôme Salle (à qui l’on doit entre autres les dispensables adaptations de « Largo Winch » à l’écran), « Zulu » est une adaptation de l’avant-dernière Série Noire de Caryl Férey. Un Férey devenu bankable depuis… « Zulu », justement. Un roman paru en 2008, devenue une moisson un an plus tard, avec sept distinctions et pas des moindres :

  • Grand Prix de Littérature Policière 2008
  • Prix du Roman Noir Nouvel Observateur/Bibliobs 2009
  • Grand prix des lectrices de Elle, Policier 2009
  • Prix Jean Amila-Meckert 2009
  • Prix des Lecteurs Quais du Polar 2009
  • Grand Prix du Roman Noir Français 2009
  • Prix Mystère de la Critique 2009

 

Vengeances raciales

 

Comme le roman, le film se déroule dans une Afrique du Sud à deux vitesses, la misère des townships voisinant avec l’hyperluxe des villas cossues. Il s’ouvre sur une scène, située il y a des années, où un jeune garçon échappe à la police dans son ghetto. Il survit là où son père, brûlé vif, trouvera la mort. Devenu homme, le garçon deviendra policier : Ali Sokhela, flic zoulou qui s’appelait Ali Neuman dans le livre, interprété ici par Forrest Whitaker. Devenu chef de la police criminelle de Cape Town, il est secondé par Brian Epkeen (joué par Orlando Bloom), Afrikaner noceur et jusqu’au-boutiste, et par Dan Fletcher, blanc lui aussi, et dont la femme se bat contre un cancer.

L’intrigue démarre par la découverte du corps d’une jeune étudiante blanche aisée dans les bas quartiers de la ville. Fille d’une ancienne star de rugby, elle a été massacrée. La brigade criminelle découvrira qu’elle menait une double vie, sortant avec des Blacks et se droguant. La jeune femme consommait une nouvelle drogue de synthèse, le tik, et c’est dans cette direction que s’orientent Sokhela et sa brigade. Bientôt, d’autres cadavres sont découverts, certains sont ceux d’enfants. Et tous portent des traces, des scarifications faisant référence à des sacrifices zoulous : « nous vous tuons », cri de guerre des ancêtres.

 

Au cours de leurs investigations, ils tombent sur un gang qui protège les intérêts d’un consortium. En remontant à travers les niveaux de pouvoir de cette structure bien  huilée, la police pourrait mettre un terme à un véritable programme de vengeance raciale postapartheid. Après la mort d’un de ses hommes, Sokhela, déjà tourmenté par la mort de son père, fait de cette enquête une affaire personnelle.

 

Impossible pardon

 

« Zulu » le film est fidèle à « Zulu » le livre, car Salle a adapté la problématique du thriller de Férey : la tentation, même pour des flics, de faire justice eux-mêmes, et l’échec de la Commission vérité et réconciliation. Film et roman pointent l’hypocrisie par laquelle des bourreaux n’ont pas eu à répondre de leurs actes ignobles.

L’intrigue noue autant de fils qu’elle en dénoue, offrant souvent des directions inattendues, et le film avance ainsi vers une fin aux accents apocalyptique (légèrement différente du roman). Un flic hanté par son passé, obsédé par la protection de sa propre mère zoulou, un autre flic qui a du mal à tenir les fils de sa propre vie (une ex encore aimée, un fils qu’il aimerait rencontrer) : Sokhela et Epkeen incarnent à la perfection cette impossibilité à faire la paix… intérieure tant que nationale. Un des intérêts dramatiques du livre, parfaitement restitué dans le film, est que le plus sage des deux n’est pas toujours celui qu’on croit. « Zulu », c’est aussi une histoire de générations.

 

(Voir un making-of du film)

 

 

Ce qui pouvait arriver de mieux à Caryl Férey

 

C’est donc logiquement par ce livre, qui le révéla, que Férey arrive sur grand écran. Certes, Salle n’a pas restitué la finesse psychologique des personnages de Férey. Mais si ce dernier est devenu un très grand auteur, c’est précisément parce que ses personnages, leur violence, leur passé et leur actions au présent, sont des êtres qui ne s’incarnent que par une langue : la littérature noire et politique. Certes, le film est moins subtil que le livre, et ne parvient pas toujours à peindre les ambiguïtés, individuelles comme africaines. Mais Salle est parvenu à adapter, et montrer, tout ce qui pouvait se montrer au cinéma de son temps et de son genre. Notamment grâce à de grands acteurs, notamment Orlando Bloom et Forrest Whitaker, toujours plus émouvant.

Au final, « Zulu » est à deux ou trois variantes près tout à fait fidèle au livre, et parvient à être accessible à tout public en alliant cinéma d’action, ancrage politique et social, rythme très soutenu, grande qualité d’interprétation de la part de chaque acteur. On est exactement entre l’adaptation exigeante et le cinéma grand public, et c’est finalement ce qui pouvait arriver de mieux à Férey.

 

Zulu de Jérôme Salle
Scénario Jérôme Salle et Julien Rappeneau, d’après le roman de Caryl Férey Coproduction Eskwad, Pathé, Lobster Tree et M6 Films
Durée : 1h50. En salles depuis ce 4 décembre 2013.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire