06 août 2014

A Marseille, le transfert de l’été, c’est «Bielsa le fada»

A quelques jours du lancement de la saison 2014-2015 de Ligue 1 de football, celui qui fait le plus de bruit dans le mercato de l’OM n’est pas un joueur. C’est l’entraîneur. Décryptage du phénomène.

(De Marseille) « Bielsa dans tous ses états » (La Provence), « Les promesses de Bielsa » (Les Dernières Nouvelles d’Alsace), « Bielsa les séduit tous » (Le Phocéen), « Marco Bielsa mène sa révolution » (Sud-Ouest).

Ce sont quelques manchettes ou quelques-unes de journaux, régionaux ou nationaux, qui s’ajoutent aux bruissements de la cité phocéenne. Autour de LA nouvelle figure du club, la star du mercato à Marseille.

 

Car c’est un fait : depuis le départ de Valbuena à Moscou (stratégiquement catastrophique, mais voulu), les deux stars de l’été à l’OM ne sont pas des joueurs. Ce sont d’une part Vincent Labrune, le président qui est parvenu à faire plier la mairie sur la question du loyer du Stade Vélodrome, et d’autre part « El loco » (le fou), surnom de l’argentin Marcelo Bielsa, nouvel entraîneur olympien.

 

 

27 mai – 7 août : l’homme qu’on attend d’entendre

 

Les matches amicaux bien négociés par l’OM en cette présaison (4 victoires et un nul) prouvent que c’est bien au football qu’il entraîne ses joueurs. Mais lui, c’est au mystère qu’il joue. De ses premières visites à Marseille (avril) à la signature du contrat de deux ans (27 mai), la négociation fut longue, très longue. Puis il retourna en Argentine où il resta jusqu’au 24 juin. Puis il arriva à l’aéroport, très escorté. Et pas causant.

(Voir la vidéo)


 

Arrivé au centre d’entraînement de la Commanderie, il s’est reclus dans le travail, et y a mis ses joueurs. Mais pas question pour lui de communiquer… et ni même de parler ! Dans le quotidien La Provence du 4 août, un membre du club témoigne ainsi :

 

Il ne parle à personne, sauf à Vincent Labrune et Luc Laboz (directeur de la communication du club, ndla). Sin on veut s’adresser à Bielsa, on doit passer par l’un de ses adjoints, qui vient ensuite nous faire part de sa réponse

 

Plus loin dans le même article, un joueur non nommé regrettait :

Il  n’y a pas d’échange direct

 

C’est ainsi : Bielsa ne communique avec aucun autre membre du club que Labrune… et ne transmet ses directives aux joueurs que par l’intermédiaire de ses assistants.

Désiré comme le messie, arrivé comme une rock star, l’Argentin adopte une technique de communication digne de la Nasa. Un secret qui fait parler.

 

7 août : la voix devient chair

 

Si cette tactique trouve, aussi, ses origines dans le barrage de la langue, il n’est pas impossible que les choses changent un peu dans deux jours. Ce jeudi, à 17 heures, après un mois et demi de présence en Provence, Bielsa s’exprimera pour la première fois devant la presse, au centre Robert-Louis Dreyfus. Probablement avec son président à ses côtés. Grande première, puisque l’entraîneur a jusqu’ici décliné toutes les demandes d’interview, et n’était jamais venu aux conférences d’après entraînement. Depuis son arrivée, ceux-ci se font se font à huis clos, et une seule fois les journalistes ont ou en voir quinze minutes.

(Voir la vidéo)


 

En ville comme à la plage, dans les transports comme dans les cafés ou les dîners, le nouvel entraîneur est, de loin, la recrue olympienne dont on parle le plus… depuis l’arrivée de Joey Barton en 2012. Le genre d’hommes à la réputation rugueuse et autoritaire qu’on aime à Marseille. Surtout après une saison si ratée que la précédente.

 

Le retour de « la méthode »

 

A deux jours du lancement de la saison en Ligue 1, il devrait présenter sa philosophie de jeu, son fameux 3-3-3-1, et ses ambitions au sein du club marseillais. Au vu des fort honnêtes matches de l’OM en cette pré-saison, c’est cette « méthode » que nous autres journalistes et passionnés, voyons, disséquons. Il y a ce schéma tactique solide, mais aussi hyper exigeant, stratégiquement comme physiquement, pour son équipe. Il y a cette communication managériale évoquée plus haut. Il y a ce staff pléthorique : huit adjoints, interprète compris. Il y a ces nombreuses séances vidéos, seul ou avec ses joueurs. Il y a ces cycles entraînements concoctés par Bielsa où les joueurs dormaient sur place et avaient double séance d’entraînement quotidienne. Il y a ce travail acharné auquel il a soumis ses joueurs : très tôt, on apprit que les joueurs phocéens qui avaient repris l’entraînement (c’est-à-dire tous ceux qui ne disputaient pas la Coupe du monde) couraient et travaillaient dur-dur. Cité par le quotidien L’Equipe dans son édition du 1er août, un membre du club témoignait :

La vérité, c’est que les joueurs se « caguent » dessus. A Marseille, on n’a jamais autant travaillé depuis vingt ans !

 

A la fin des années 1980, on parlait de la « méthode Ivic » au PSG d’alors. Cette année, on va assurément parler de « méthode Bielsa ».

 

Un homme d’écrit, donc un homme de secrets

 

Lors du premier match amical de l’OM, fin juillet contre le Bayer Leverkusen, on vit pour la première fois Bielsa dans ses nouvelles fonctions. On vit cet homme capable de piquer une colère pétaradante -aussi bien contre son staff si un remplaçant n’est pas prêt quand il doit entrer en jeu, que contre un joueur ne s’étant pas replacé à bon escient (Lemina et Amalfitano ce jour-là). On vit aussi un homme qui n’attache absolument aucune importance à son look, et tant pis pour les rebutantes auréoles de sueur sur son polo qu’il suffisait de changer pour être mieux affrété. On vit aussi cet homme qui note tout ce qu’il voit sur un calepin qu’il ne quitte pas, action par action. Pour mieux disséquer plus tard. En fin de saison, ces pages vaudront cher.

La passion de Bielsa pour l’écrit et la lecture date de la fin de sa (modeste) carrière de joueur (défenseur), en 1980, alors qu’il n’avait que vingt-cinq ans. Il décida d’investir ses économies dans un kiosque à journaux du centre-ville de Rosario. Il enchaînait alors la lecture des quotidiens et magazines, argentins et étrangers.

Colérique et méticuleux, Bielsa est un homme d’écrit. Donc de secret. « El Loco » est aussi el mysterioso.

 

Bielsa : autorité et pétage de plombs, mais aussi le modèle de Guardiola

 

Mais au fait, pourquoi ce surnom de « el Loco » (le Fou), pour un type qui ne semble « que » colérique, méticuleux et travailleur obsessionnel ? Lui dont le grand-père, avocat, fut l’un des initiateurs du droit administratif et du code pénal argentins actuels. Fou, telle est en effet sa réputation depuis plus de vingt ans. Mais chez les Bielsa, tout le monde a le droit de se faire qualifier de « Loco », sobriquet également attribué au susdit aïeul, ainsi qu’au frère de Marcelo, Rafael, ancien ministre des Affaires étrangères de Nestor Kirchner, et à leur sœur Maria Eugenia Bielsa, « La Loca », ancien vice-gouverneur de la province de Santa Fe. Chez les Bielsa, la « folie » signe l’autorité.

Mais la folie supposée serait ici à interpréter dans le sens du taré entêté qui serait prêt à tout pour se faire respecter, jusque la totale (auto)destruction.

En février 1992, dès sa première expérience d’entraîneur (au Newell’s Old Boys), il montra qu’il en avait. Lorsque les supporters de l’équipe étaient arrivés devant chez lui, furieux après une nouvelle déculottée, il les avait accueillis avec… ne grenade à la main, menaçant de tous « les faire voler en éclats » s’ils ne décampaient pas.

Quelques années plus tôt, lorsqu’il s’occupait de la section Jeunes de ce club, Bielsa fut informé par un restaurateur qu’un certain Mauricio Pochettino, alors âgé de treize ans, s’apprêtait à signer chez les rivaux du Rosario Central. Sans même l’avoir jamais vu jouer, mais ne voulant rien lâcher aux concurrents, il alla jusqu’à se pointer au domicile de la famille du garçon, une nuit à une heure du latin. Deux heures après, il ressortait avec le contrat signé par le jeune. Dix ans plus tard, c’est aussi Bielsa qui « casta » des jeunes comme Balbo, Batistuta et Sensini

C’est pour ce genre d’anecdotes et d’obsessions que, pour Pep Guardiola en 2012, Bielsa était « le meilleur entraîneur du monde ».

Lors de sa dernière expérience en date dans le coaching, entre 2011 et 2013 à l’Atletico Bilbao, il avait sauté à la gorge d’un responsable des infrastructures du club. Si bien que, ce mardi, le suscité France Football se demandait :

Bielsa va-t-il d’abord emplâtrer un joueur, un journaliste ou le chef de chanter du Vélodrome ?

Le même hebdomadaire titrait, dès le 29 avril dernier :

OM : un fou chez les fadas

 

C’est pour ces raisons-là que, cette année, Bielsa est la recrue dont on parle le plus à l’OM. Parce que c’est une sorte de types qu’on y avait pas encore vus, pas à ce point, pas avec ce charisme, cette expérience. Que Bielsa soit le transfert de l’été montre bien que le club, devant dégraisser, n’a engagé personne de grande envergure. Mais nous ne bouderons pas le mystère Bielsa. Et on attend jeudi que le rideau se lève. Un peu.

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