06 septembre 2020

"Engrenages" saison 8 : comment bien nous dire adieu (garanti sans spoiler)

"Engrenages", c’est bientôt fini. Comme plusieurs séries phares en 2020, année clap de fin pour "Homeland" outre-Atlantique, "Le Bureau des légendes", "Dix pour cent" et peut-être même "Baron noir" en France.  

Mais "Engrenages", c’est parti. Ce lundi débute, sur Canal +, la saison 8, annoncée comme la dernière, d’une série qui en quinze ans est devenue la meilleure série policière hexagonale. Reconnue à l’étranger : récompensée par l’Emmy Award de la meilleure série dramatique en 2015, et vendue dans soixante-dix pays. 


Le 5 octobre prochain, après les épisodes 9 et 10, voire même avant pour celles et ceux qui visionneront les 10 épisodes sur myCanal, une page sera tournée. L’occasion de déguster les derniers épisodes.


        (Voir la bande-annonce)



 Comme toujours, mais autrement


Plus de juge Roban (mise à la retraite à la saison 7), plus de procureur Machard, plus de Tintin (précédemment passé à l’IGPN, laquelle est absente de cette saison après avoir fait tout péter durant la précédente), mais deux nouveaux personnages majeurs : 

  • la jeune Lucie Bourdieu (Clara Bonnet), nouvelle juge au TGI de Paris, brillante mais inexpérimentée
  • Cisco (Kool Shen), braqueur à l’ancienne, toujours sur le point de se faire avoir, mais toujours plus fin que ses ennemis. Il est "à l’ancienne", un peu comme Gilou Escoffier (Thierry Godard, de plus en plus intense) du côté policier


Ça tombe bien : la fin de la saison 7 avait vu celui-ci tomber. Pour protéger son histoire d’amour avec Laure Berthaud, il avait endossé seul les dérapages ripoux commis à deux. Incarcéré, il va saisir une perche que lui tend Brémont (Bruno Debrandt), le commissaire de la Crim’ : se rapprocher de Cisco, détenu au même endroit, en échange d’une possible réintégration au sein de la police. Graal ou carotte ? Infiltration, chute ou rédemption ? A vous de voir.

Toute aussi noire mais moins sanguinaire que les précédentes, cette huitième débute comme toujours par un crime. Ici, dans une laverie à Barbès. Une trame qui se déploiera, et ouvrira sur des sujets classiques (drogues, petite délinquance), mais aussi actuels (les migrants). Laure Berthaud (Caroline Proust) a repris la tête du DPJ, secondée par Ali (Tewfik Jallab). Ébranlé par l'arrestation de Gilou, secoué par les non-dits de la relation entre Laure et lui, le DPJ enquête sur le corps du jeune migrant marocain retrouvé dans la laverie de Barbès.


              © Caroline Dubois - Son et Lumière / Canal+
 

 De son côté, Joséphine Karlsson (Audrey Fleurot) assure la défense de celui qui va vite être suspecté de ce meurtre : Souleymane, autre mineur isolé marocain. Un "client" qui nous la fait voir comme on la connaît : elle s’attache un peu à tout et à tous, mais pour mieux fuir ses doutes perpétuels sur sa propre vocation.

Ajoutez à cela un commissaire Beckriche (Valentin Merlet) sur la sellette, une juge Bourdieu plus raide que son prédécesseur Roban. Ajoutez que les deux trames principales vont, on le devine, se nouer entre elles (mais prenez patience…). Ajoutez une amourette mêlant un personnage qu’on connaissait mais qu’on n’en croyait incapable. Ajoutez des embrouilles intestines au sein même du DPJ. Ajoutez un fil d’intrigue qui joue sur le thème de la paternité avec là aussi, un flic et un suspect en miroir l’un de l’autre. Secouez, posez : vous avez une saison d’ "Engrenages" qui ressemble aux autres, rien de mieux et rien de moins bien. Pareille, mais quand même différente. Et tellement addictive. 



                                             © Caroline Dubois - Son et Lumière / Canal+

Penser la fin


Ce, notamment parce que les auteurs et réalisateurs sont parvenus à penser la fin. Les fans le savent depuis un bail : cette saison est la dernière. Ce qui constitue un enjeu et une tension dramatique, comme un staccato un peu plus prégnant au fil des épisodes. Comme une façon, aussi, de donner une autre dimension au bilan que fait cette saison 8 : la fin d’un cycle. Celui des flics du début XXe et celui des flics de 2020, dont la moindre filature ou le moindre "soum" (fourgon de planque) est immédiatement repéré.  Une page se tourne aussi du côté des magistrats. Ou des voyous : finis les dabistes et les casses de banques, ceux-ci n’ont plus de liquide. Désormais les voyous braquent ceux qui ont encore beaucoup de liquide : les autres voyous. Cette saison raconte ces changements pour mieux les entériner. La relation entre la brigade du DPJ, les nouveaux juges (qui d’ailleurs sont au nouveau Palais de Justice, montré sous tous les angles).

On aime, ici, que ces changements d’époque soient parfaitement imbriqués avec les autres enjeux de l’intrigue. Bigrement cousus avec les autres plis du récit : les relations Laure / Ali, Karlsson / Edelman (oui, lui aussi vous le reverrez), Gilou / Cisco, Cisco père / Cisco fils.

En cela, et surtout par cette scène (gardons le mystère…) où celui qui tire n’est pas celui qu’on croit, cette ultime enquête réussit là où, à mon sens, le dernier épisode du "Bureau des légendes" (ce dîner au royaume des morts…) avait savamment foiré. Dirigée par Marine Francou, aux commandes de la série depuis la saison précédente, cette S8, prouve qu’on peut arriver en fin de cycle (c’est le cas ici) tout en conservant jusqu’au bout son intensité dramatique…

Collée à l’actualité


… Et politique !

© Remy Grandroques / Son et Lumière / Canal+

 

Depuis quinze ans, la série a abordé : la prostitution venue de l’Est et de l’Afrique, le trafic de nourrissons, la pédophilie, la corruption des élus, celle des juges, celle des flics, les migrants, le trafic de migrants. Sa longueur (quinze ans, 8 à 12 épisodes par saison) lui permit de scruter la réalité quotidienne des corps et institutions constituées, principalement la justice et la police, mais dans toute sa diversité et ses problématiques. 


Ici, par exemple, on entre dans différentes structures d’accueil pour migrants et mineurs. Et cette réplique, juste cette réplique, d’une des responsables bénévoles à une adulte qui se plaint du manque de moyens, suffit à tout révéler :

"La prochaine fois, vous y penserez à deux fois, avant de voter pour payer moins d’impôts"


"Engrenages" est une satanée réussite par la profondeur et la complexité de ses personnages – qu’elle a su faire évoluer, leur ajoutant une facette à chaque saison -, par sa distribution irréprochable, par ses acteurs.trices qu’elle a révélés ou remontrés, mais aussi pour la façon de parler politique sans y toucher. Comme un vrai bon roman noir. Par la marge, et non par une fiction à thèse. En mêlant plaisir de fiction et critique sociale.

Crée au moment où les Créations originales de Canal voulaient coller au plus près de leurs sujets et des milieux décrits ("Reporters", "Braquo"), "Engrenages" a fait ce que font tous les bons polars réalistes et politiques : allier la vérité de son "terrain" et celles de nos vies à nous.  

C’est une vraie saison ultime : elle ne donne pas envie d’une suivante. Mais de tout revoir.


Engrenages saison 8. 10 épisodes de 52 mn.
Diffusion : du 7 septembre au 5 octobre, 2 épisodes chaque lundi à 21 h. Disponible en intégralité dès le 7 septembre sur myCanal.
Création originale Canal Plus
Réalisée par Jean-Philippe Amar (épisodes 1 à 4), Nicolas Guicheteau (épisodes 5 à 8), et Frédéric Jardin (épisodes 9 et 10)
Auteurs :  Marine Francou, Sylvie Chanteux, Antonin Martin-Hibert, Maxime Caperan, Thomas Finkielkraut, Anne Rambach, Marine Rambach
Avec Caroline Proust, Thierry Godard, Audrey Fleurot, Tewfik Jallab, Louis-Do de Lencquesaing, Valentin Merlet, Kool Shen…




 

 


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