24 novembre 2020

"Cheyenne et Lola" : folle équipée et sororité chez les Ch’tis

Rencontre du polar féministe, du récit de libertés confinées, des histoires de petites frappes, de la fiction sur cette fameuse "France périphérique", avec en prime un regard à la loupe sur les migrant.e.s : Cheyenne et Lola, la série qui débute sur OCS ce 24 novembre, est une merveille de série noire.



 

Forcément, on pensera à Thelma et Louise et à Bonnie & Clyde, pour les duos en cavale. On pensera aux films de Ken Loach ou de Bruno Dumont, pour le réalisme social et décalé. On pensera aussi à Fargo, pour l’utilisation des décors. On pensera enfin au Quai de Ouistreham de Florence Aubenas.
On a l’impression d’avoir déjà vu Cheyenne, d’avoir déjà vu Lola. D’avoir déjà lu et vu des héroïnes comme elles. En fait, non. Pas comme ça. Cette nouvelle série assemble le polar social, l’aventure de solidarité entre femmes, et le polar de gangsters (locaux). C’est une série qui plaira aux férus de tous ces genres-là.

L’histoire 

Elle se déroule dans le nord de la France, sur les bords de la Manche. Sortie de prison après avoir purgé une peine pour complicité dans un braquage, Cheyenne vit dans un camping. A trente-cinq ans, elle recommence sa vie, elle est tatoueuse à ses heures, et son rêve est de s’établir comme tatoueuse professionnelle au soleil. Au Brésil. Pour ça, elle accumule les heures de ménage : dans des maisons et des hôtels, mais aussi sur les ferries assurant la liaison avec l’Angleterre. Ce rêve trouve sa racine dans une volonté : prendre ses distances avec son mari, homme violent, toujours incarcéré, qui refuse le divorce. Ce rêve, c’est sa survie.

Cheyenne est une enfant de la région. Elle a grandi dans une famille catégorie "cas sociaux". Sa demi-sœur, Mégane, fait elle aussi des ménages, et assouvit sa soif de reconnaissance à travers son blog libertin, qui lui vaut l’aura des mâles du coin. Elle fricote aussi avec la petite truanderie locale.
Celle que Cheyenne n’a connu que trop. Rapport à son passé, à son mari. Car depuis que celui-ci est au trou, un autre caïd contrôle tous les trafics : prostituées, drogue, et aussi les migrants. Yannick Bontemps a tout le monde à sa botte, y compris sa femme Babette, qui tient tous les comptes. Jusqu’à ce qu’elle se mette à vouloir les régler…

Et la Lola du titre, dans tout ça ? Elle est le moteur à emmerdes. Pour tout le monde, enfin presque. Et pourtant, tout le monde lui dit : qu’est-ce qu’elle est belle… Mais beaucoup ne voient que ça, chez cette bimbo hyper sexy, frivole, addict au shopping et à Instagram. Elle se révèle vite une fausse ingénue, et complice idéale pour sales coups.  
Débarquée dans la région pour suivre son amant, un coach fumiste en "positive attitude", elle se retrouve vite mêlée à un meurtre. Se retrouve vite au milieu du panier de crabes et des trafics du coin.
Elle a mis son destin dans ces engrenages.
Tous les engrenages de Bontemps.

Elle et Cheyenne deviennent celles qu’on cherche, celles qu’on veut. Celles qu’il faut choper (dans tous les sens du terme). Qui en savent trop. Mais qui demeurent indispensables – vous verrez pourquoi -.

(Voir le teaser) 

 

Toutes les couleurs du noir


A partir de là, chacun des personnages décrits dans ce résumé auront l’occasion d’avoir un coup d’avance. Vous verrez ce qu’ils en feront.
Ajoutez au puzzle un flic amoureux, une hiérarchie corrompue, des femmes de ménage exploitées, des guerres de clans et de familles, du passé qui s’en va et qui revient : vous avez le tableau d’un polar du tonnerre.

Chacune des pièces est interdépendante, car les protagonistes principaux comme secondaires ont plusieurs facettes. En cela, Cheyenne et Lola respecte ce code propre à tous les bons romans et films noirs : tous les personnages ont un côté clair et un côté obscur. Ni bons ni méchants, ni victimes ni suspects, mais un peu de tout ça. D’ailleurs, l’ultra-réalisme de la série ne verse dans aucun misérabilisme (psychologique, social, victimaire).

Bien des codes du genre noir sont là, brillants. On appréciera ici l’écriture de Virginie Brac, qui fut une autrice de huit (bons) polars, et dont on garde un souvenir précis de Cœur-Caillou en 1997, puis Tropique du pervers et Notre Dame des barjots en 2000 et 2002 (avec son personnage de Vera Cabral, psychiatre urgentiste). Elle est depuis devenue scénariste, qui a écrit la saison 2 d’Engrenages, participé à la saison 4, et crée plusieurs séries dont Les Beaux Mecs ou Tropiques amers.

Toutes les nuances du noir sont là, parce que chaque protagoniste existe suffisamment pour les faire vivre. Chacun a sa place dans la dramaturgie, et chacun acquiert une certaine densité car il incarne un petit quelque chose de particulier dans la variété des thèmes traités : sort des migrants, trafics des migrants, violence domestique (sur les femmes et sur les enfants), exploitation salariale, aléas économiques d’une entreprise de ménage, tabous familiaux, petits et grands trafics dans un coin pommé mais ouvert, amours contrariées, sororité, solidarité, fatalité.  

Cheyenne, Lola et les autres


On sait bien que le décor est un personnage, dans ce genre-là. Cette saison 1 a été tournée entre Cherbourg, Le Touquet et Dunkerque. Eshref Reybrouck (Undercover sur Netflix, c’était lui), réalisateur de cette première saison, a su donner parfois des airs de rêve à des paysages lugubres et aussi maudits que le destin des personnages.

On est secoué par l’interprétation subtile de la Belge Veerle Baetens, remarquée entre autres dans le film Alabama Monroe de Felix Van Groningen en 2013. Sa Cheyenne oscille entre le fatalisme, l’héroïsme, la solidarité, l’abattement, et un certain humour caustique.

On apprécie hautement les compositions d’Alban Lenoir en jeune flic, de Patrick d’Assunçao en caïd local, de Sophie-Marie Larrouy en demi-sœur nympho et terrible, de Natalia Dontcheva en Babette fatale.

Et on est saisi par le rayonnement et l’envergure que Charlotte Le Bon donne à Lola. Depuis qu’elle s’était fait connaître en miss Météo puis en chroniqueuse au Grand Journal sur Canal+, la pétillante Québécoise a enchaîné une petite vingtaine de films devant les caméras. Elle parvient à jouer une sorte de cagole du Nord, un personnage plein de double-fonds et d’énergies aussi contraires que les vents - du nord, justement -. Toujours là quand il faut mais rarement là où il faut, elle donne à cette saison 1 la fausse naïveté qui équilibre à merveille la solidité fêlée de Cheyenne. On voit ces jours-ci, sur les réseaux sociaux, à quel point elle fut en joie d’incarner cela. 

Cheyenne, Lola et les autres, sont de sacrés personnages. Cheyenne et Lola est une sacrée série. La première saison débute ce mardi, et son autrice Virginie Brac m’assurait que la suivante était déjà à l’étude.  




Cheyenne et Lola. 8 épisodes de 52 mn
Diffusion sur OCS Max à partir du 24 novembre, 20h40. Puis à la demande
Créée et écrite par Virginie Brac
Réalisée par Eshref Reybrouck
Avec Veerle Baetens, Charlotte Le Bon, Patrick d'Assumçao, Alban Lenoir, Sophie-Marie Larrouy, Natalia Dontcheva,…


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