L'ampleur des hommages depuis mercredi. Les intégrales des chaines d’infos dès l’annonce officielle du décès. Les Unes de tous les quotidiens nationaux comme régionaux en France. Depuis que la nouvelle est tombée, ce 25 novembre sur le coup de 17 heures en France, on s’aperçoit bien que Diego Maradona, c’était bien plus que du football. Pour le meilleur (ce qu’il incarne d’Argentine, et de tiers-mondisme latino-américain des années quatre-vingt) comme du pire (les scandales propres aux stars de son rang, le dopage, la drogue, la Camorra).
Le lent défilé devant sa dépouille à Buenos Aires ce jeudi 26 novembre, les chants de supporters à Naples, un mausolée en Inde, et ce n’est pas fini. La veillée funèbre de Diego Maradona s'est muée jeudi en hommage planétaire qui, lui aussi, transcende largement les dimensions de ce jeu et de cette politique des choses qui s’appelle le football.
Une journée a passé depuis l’annonce de ce décès. L’émotion est encore là, pour un possédé de football de ma génération (47 ans) : cette nouvelle est de celles qui font envoler une des pages de notre enfance.
Face à cette mort, prenons un peu de distance. De toute façon, tout a été dit et écrit depuis hier, plutôt bien. Pour ma part, j’ai humblement parlé sur des antennes, et avais écrit ce que je pensais (de bien, de mal) au sujet du "Pibe de oro" dans Galaxie Foot. Donc nous ne (re)parlerons pas, ici, du "but du siècle" - même si franchement on l’a adoré !-.
Maradona était-il le meilleur ? Même si le choix est restreint, chacun aura son avis. On rajoutera Puskas, Pelé, Platini, et Di Stefano.
Maradona était-il le plus grand ? Pour moi, oui - avec Johan Cruyff -. Car être le plus grand signifie de marquer les imaginaires, y compris ceux des plus rétifs au ballon rond. Cela signifie avoir eu un impact au-delà de sa discipline. D’avoir pris position sur les champs politiques (Cruyff le fit, Maradona le fit). Maradona restera comme le premier, dans sa dimension, à être allé à ce point au-delà de son propre sport : engagé, clivant, hénaurme, énervant. Joueur et tricheur. Bigger than life.
Voilà en quoi il s’était inscrit dans de nombreux segments de ce qui définit la pop culture. Voilà pourquoi Maradona était aussi une icône pop de son époque. Et il le restera.
Étendard
George Best, mort lui aussi un 25 novembre (2005) ne jouait pas au foot. Il était le foot. Les Rolling Stones étaient le rock, et John McEnroe était le tennis. Diego Maradona jouait au foot et était ce foot. Pour lui gagner signifiait vaincre. Vaincre les Anglais en 1986, quatre ans après les Malouines. C’était gagner une guerre politique et éternelle, face à ceux qui n’avaient gagné qu’avec des armes et des canons.
Deux titres de champion d’Italie avec le SC Napoli, c’était pour vaincre ce Nord. Il fut illico adopté par la ville de Naples pour cette raison. "J’étais leur étendard", écrivait-il dans Ma Vérité (Hugo &Cie, 2016, repris en poche chez J’ai Lu), poursuivant :
"J’étais l’étendard des pauvres du Sud contre les riches du Nord. Celui qui volait les riches du Nord pour donner aux pauvres du Sud. Mais ça, c’est le résumé de ma vie. C’est tout moi, ça"
Ou encore :
"Avant la Coupe du monde 1986, il faut bien dire la vérité, celui qui avait l’image du vainqueur, celui qui gagnait tous les titres, c’était bien Platini. Moi, j’étais le jogolieri, celui qui faisait le spectacle avec mes petits ponts, mes coups du foulard, mes coups du sombrero, mais moi, je ne faisais pas de tours d’honneur. Je ne gagnais pas de titres. Mon tour était venu. Je voulais tout gagner et je voulais tous les battre. Surtout ceux qui se mettaient sur mon chemin. Et c’est ce qui s’est finalement passé : je me suis battu, battu et battu et finalement, j’ai brisé le mythe Platini. Je l’ai tué"
Phrase typique du champion. De tous les champions. Certes. A ceci près que Maradona dut se battre contre beaucoup d’autres (hommes, pays, institutions du football), mais aussi contre lui-même. Se mesurer aux lois de son propre sport. S’en élever jusqu’à viser bien plus que la perfection, mais plutôt l’immortalité. Quitte, pour cela, à pactiser avec son propre côté obscur.
Le "Pibe de oro" ("gamin en or"), enfant de famille pauvre, aux origines amérindiennes, italiennes et espagnoles, devenu homme de petite taille (1m66) incarnait la fougue, la ruse, la virtuosité des gamins des rues. Mêle une fois devenu grand, c’est-à-dire champion du monde mais aussi cocaïnomane, irascible, puis parano, obèse, pestiféré, parfois homme parfois fantôme, il incarnerait toujours cette dimension "enfant roi" qui fait les stars de la pop culture.
De héros à anti-héros, des paillettes au dopage
Il y eut les frasques nocturnes dans les discothèques barcelonaises, où il commença à devenir accro à la coke – c’était pendant ses deux saisons au Barça, 1982-1984 -. Puis les années napolitaines (1984-1991), un temps où Diego Armando Maradona fut le plus beau joueur que la terre ait connu, et où il gagna ses plus beaux trophées (deux Scudetti en 1987 et 1990, une Coupe d’Italie en 1987, une Coupe de l’UEFA en 1989, champion du monde en 1986 et vice-champion du monde en 1990). Un temps, aussi où il symbolisa les années quatre-vingt versant paillettes, business, où il fut protégé par la Camorra, et où il y eut cet enfant né (en 1986) d’une relation adultère, dont il admit la paternité bien plus tard. Des années paillettes qui allaient le mener aux années dopage.
Le "Pibe de Oro "mourut le 8 juillet 1990, après la défaite de l’Argentine en finale du Mondiale. Laissant la place au seul Maradona, qui allait rester le plus grand sans jamais plus être le meilleur.
L'idole mondiale était devenue un anti-héros. Un personnage de polar. Au début des années quatre-vingt-dix, quand on évoquait Maradona, on évoquait la dope ou le dopage. En France, il fit une très brève apparition comme marionnette des Guignols de L’Info. Représenté comme un imbécile bouffi et ravagé par la drogue, son personnage tombera rapidement aux oubliettes.
Dieguito, Pibe de oro, icone pop
Dans le monde, il allait cependant devenir une icône pop. Quelque part entre Tony Montana et Mohammed Ali.
Depuis des années, à Naples comme dans bien des endroits en Argentine, les murs s’étaient recouverts de fresques parfois gigantesques. Des murs d’immeubles, des ruelles et des quartiers étaient, et sont toujours, des musées à ciel ouvert dédiés à la gloire de Diego. Naples est devenue un temple du street-art dédié à "Santa Maradona", où se recueillent et défilent les foules depuis mercredi. Vous en trouverez à foison sur Internet.
Plus que Pelé avant lui, plus que Zidane aujourd’hui, Diego Maradona fut le premier footballeur à avoir trouvé un tel écho à travers autant de formes artistiques, de la peinture jusqu'à la bande dessinée, en passant par la sculpture, la danse, la théâtre, le cinéma, ou encore la musique.
En France, on connaît ces deux morceaux :
Santa Maradona de la Mano Negra, single issu de l’album Casa Babylon (1994) : "Santa Maradona priez pour moi" scandait le refrain, sanctifiant un ange échoué, un personnage qui tapait dans un ballon plutôt que sur l’adversaire. Santa Maradona glorifiait l’Argentin pour la lumière qu'il apportait à ce milieu corrompu. Ce qui, même justement en 1994, pesait ironiquement lourd en naïveté… Mais quel morceau.
La vida tombola, par Manu Chao (un ex de la Mano, comme on sait). Un titre qui était de la bande-son de Maradona, le documentaire d’Emir Kusturica, projeté au festival de Cannes en 2008.
En 1989, on ne voyait pas en direct les demi-finales de la Coupe de l’UEFA. Des gens comme moi virent après coup cet échauffement maradonesque.
Le 19 avril 1989, lors de l’échauffement précédant la demi-finale retour entre Naples et le Bayern, Diego Maradona, lacets défaits et au rythme de la chanson Live is life d’Opus, le joueur encore en or commença à enchaîner les jongles avec le génie rusé qui était le sien. Cette scène restera mythique.
Le Che du foot et la divinité païenne
Était-il de gauche ? De droite ? Nous dirons qu’il était "dieguiste". Entre le populaire et le populisme.
Fils du peuple resté proche du peuple, il était le cœur et le tambour de celui d’Argentine. On le mesure à l’ampleur du deuil national décrété sur place, et à l’envergure des foules qui l’accompagneront.
On ne mesure pas sa politisation si on ne prend pas conscience que cet homme devint une idole dans l’Argentine de Videla, et dans une Amérique latine dont les pays avaient été en coupe réglée par des régimes dictatoriaux installés plus ou moins directement par les Etats-Unis. Dans un monde où on ne parlait pas de "pays émergents" mais de "pays pauvres". Pas d’"altermondialisme", mais de "tiers-mondisme" et de "pays non-alignés".
Maradona regarda toujours avec passion les candidat(e)s et les gouvernant(s) qui osaient défier les Yankees : Peron, Chávez, Castro, et tant pis pour le populisme (voire les Droits de l’Humain). Puis Nicolas Maduro et Evo Morales. Pour l'anecdote, Diego est mort un 25 novembre, le même jour que Fidel Castro, mais quatre ans plus tard.
Si Diego Maradona est devenu une icône pop, c’est aussi par cet engagement-là, et la force/forme qu’il lui donna. Quelque chose entre Che Guevara et Speedy Gonzales.
Jusque dans sa dimension sacrée, Maradona revêt une caractéristique propre au héros pop. Une dimension d’idole païenne que l’on doit à… l’ "Eglise maradonienne" ! Depuis le 30 octobre 1998, cette « religion » rend gloire à Diego Maradona. On estime à cent mille ses adeptes, dans pas moins de soixante pays. Elle possède son propre calendrier, ses deux fêtes annuelles, et il n’est pas impossible que ce qui est arrivé, ce 25 novembre 2020, la fasse perdurer…
On se fera une idée de la trace maradonienne en revoyant le superbe documentaire, sorti sur grands écran en 2019 : Maradona, d’Asif Kapadia, projeté hors compétition à Cannes.
Ainsi que Maradona, un gamin en or, réalisé par Jean-Christophe Rosé. Coproduit par Arte France, 13 Production, TSR et la RTBF.
Ou encore : Maradona confidentiel (2018) qui sera rediffusé ce samedi 28 novembre à 22h40 sur National Geographic, et dont le teaser est ici.
Car enfin, "Maradona, c'était aussi ça"...
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