07 janvier 2021

"The Good Lord Bird", la mini-série pré-Guerre de Sécession qui tombe bien

 

Ce mercredi 6 janvier au soir, des "Dixie Flag" confédérés ont été brandis par des pro-Trump qui ont envahi le Capitole. L’ancien drapeau des Etats sécessionnistes, symbole de la suprématie blanche et esclavagiste, souvent utilisé comme emblème par l’extrême-droite outre-Atlantique. 

Le funeste évènement donne un éclairage d’autant plus actuel à la mini-série historique The Good Lord Bird, diffusée à partir de ce jeudi sur Canal Plus. Une adaptation fidèle du roman de James McBride, qui lui avait valu le prestigieux National Book Award en 2013. Une histoire de ces deux Amériques qui, de la guerre de Sécession à hier, s’affrontent encore et toujours. 

 

"Brown n’a pas mis fin à la guerre contre l’esclavage, mais il a déclenché la guerre contre l’esclavage", vous dira un des protagonistes. Si vous connaissez l’histoire américaine, vous savez qui était John Brown . Si vous la connaissez peu, vous aurez l’occasion de le savoir.
Cet activiste abolitionniste (1800-1859), passé à l’action violente, pour qui une impitoyable lutte armée s'imposa comme la seule solution afin de libérer les esclaves de leur condition. Un possédé se croyant missionné par Dieu sur Terre, que sa pendaison transforma en martyr de la cause et de la civilisation. Visionnaire pour les uns, archange armé pour les autres, fanatique pour certains et terroriste pour d’autres encore – parmi lesquels le futur président Lincoln, pourtant abolitionniste aussi -.

Henry David Thoreau lui vouait grande admiration, et écrivit son éloge funèbre. En France, depuis son exil à Guernesey, Victor Hugo écrivit une lettre ouverte, publiée par la presse européenne et américaine (Lettre sur John Brown, reprise dans les Actes et paroles. Pendant l'exil (1859)). Plus près de nous, Pourfendeur de nuages de Russel Banks (1998), traitait de son histoire, qu’il faisait raconter par un de ses fils.

Le roman de James McBride…


Paru en 2013 aux Etats-Unis, traduit en 2015 en France, L’Oiseau du Bon Dieu est le troisième roman de James McBride. Le dernier à ce jour, d’ailleurs. Il valut à l’auteur le prestigieux National Book Award en 2013.
Peut-être aviez-vous rencontré McBride, venu à plusieurs festivals et salons du livre en France au milieu des années 2010. Pour ma part, j’ai animé quelques rencontres desquelles il était invité, et je me souviens l’avoir vu… en concert, pour les Mots Doubs à Besançon en 2015. Car cet écrivain, scénariste et compositeur est aussi musicien de jazz. Et son œuvre romanesque (débutée en 2002) nous plonge au cœur de ses racines et de celles d’une Amérique qui n’a pas fini d’exhumer les fantômes racistes et esclavagistes. En septembre 2016, Barack Obama lui décerna la National Humilities Medal.

C’est le cas de L’Oiseau du Bon Dieu, porté par la voix narrative d’Henry Shackleford, un jeune afro-américain, esclave et fils d’esclave dans une petite ville du Kansas. Nous sommes en 1856, dans une période qui commence à sentir la guerre de Sécession. Un jour, son père est tué devant lui. Devant, aussi, un certain John Brown, présent lors de cette scène. Allez savoir pourquoi, Brown croit qu’Henry s’appelle Henrietta. Persuadé que cet ado aux traits fins est une fille, il la libère et l’emmène avec lui. "Elle" fera parti de son armée de l’ombre. "Elle" devra vivre avec cette menace, et avec ce mensonge sur son identité. Double menace qui forme un des suspenses du livre. L’autre, c’est la trame véridique et historique : les dernières années du combat de Brown et des siens. Cette armée de pacotille aux grandes idées et aux victoires ric-rac. 


Un roman dans la pure tradition historico-politique des romans sur la période, à laquelle on ajoutera la verve narrative, le rythme frappant, les dialogues acérés et l’humour subversif de McBride (sur les Blancs comme sur les Noirs).  

… Et une adaptation aussi fidèle que bienvenue


Adapté de ce roman, la série éponyme a été diffusée en octobre dernier sur Showtime, aux USA. C’est une création de Mark Richard et de Ethan Hawke, ce dernier interprétant lui-même le rôle de John Brown. McBride a travaillé le scénario avec lui. D’où le fait que les sept épisodes suivent le roman quasiment à la lettre. Cela ravira celles et ceux qui l’ont lu : le livre est bien incarné. Cela ravira celles et ceux qui ne l’ont pas lu : ils seront saisis par la voix et par le personnage de Henry « Echalotte » Shackleford. Superbement interprété par Joshua Caleb Johnson, un quasi-débutant saisissant de justesse. D’autant que, comme dans le livre, il est protagoniste et narrateur, ce qui est une gageure d’interprétation à l’écran.

(Voir la bande-annonce)

     

Pour sa part, Ethan Hawke en fait parfois des tonnes. Il a tendance à surjouer le vieux guerrier possédé, bigot, qui demande à tout le monde de réciter la Bible. Mais il convient de dire que tel est le personnage du roman initial. Que l’acteur a compris dans beaucoup de ses méandres et de ses erreurs. Y compris cette cécité à certaines choses, comme devant cette bizarrerie : comment a-t-il pu prendre Henry pour une fille ? L’a-t-il cru, ou l’a-t-il préféré ? Chez les réalisateurs comme chez McBride, vous ne le saurez qu’au final. 


Cette méprise, trouvaille du romancier pour ajouter de la fiction à l’Histoire (celle de Brown) nourrissait la dimension picaresque du récit, et son utilité saute aux yeux de façon plus forte à l’image. Car elle introduit un doute, un trouble, mais aussi une métaphore complexe sur les liens qui peuvent unir ou opposer les opprimés aux libérateurs issus de la même classe (les propriétaires blancs abolitionnistes d’alors) que leurs oppresseurs. Elle entoure aussi le personnage de Brown d’une couche de ridicule, de too much, à travers laquelle Hawke semble s’être régalé. 

 

On comprend pourquoi ce dernier a voulu porter le roman à l’écran. Dans le dossier de presse de la série, il revendique :
"Quand j’ai lu le livre de James McBride, le climat politique ambiant de haine faisait écho à l’époque encore plus difficile à laquelle se déroule le livre. Le roman ne traite pas de politique mais de l’humanité en chacun de nous, ça m’a touché et j’ai voulu le partager avec les gens. Et cela m’intéressait d’interpréter ce personnage de l’Histoire américaine qui n’avait jamais été adapté en fiction […] En surface, la série parle de race, mais à travers le regard de de garçon qui s sent obligé de se travestir, c’est en réalité la question de l’identité qui est centrale : l’identité entant que nation, en tant que personne"



Avec ses scènes d'action savamment soignées, avec sa trame véridique (Brown) et fictionnelle (« Echalotte »), et sa B.O. entraînante, The Good Lord Bird rappellera aussi bien O’Brother des frères Coen que Django Unchained de Quentin Tarantino. Elle rappellera aussi les meilleures fictions littéraires sur les mêmes thèmes, ou la même période ; les classiques (Mark Twain), les modernes (Toni Morrison), les récentes (Colson Whitehead). 

 

Pour sa diffusion française, Canal a eu la bonne idée de garder le titre original : The Good Lord Bird.

La mini-série prend encore plus d’impact, si besoin était, depuis les évènements de ce mercredi 6 janvier 2021 au Capitole de Washington.



The Good Lord Bird. 7 épisodes de 52 mn.
Diffusion : à partir du 7 janvier, les jeudis à 21 h. 2 épisodes par soir. Disponible en intégralité dès le 7 janvier sur myCanal.
Crée par Mark Richard et Ethan Hawk, adaptée du roman de J. McBride
Réalisée par Albert Hugues, Kevin Hooks, Darnell Martin, Haifaa Al-Mansour, Kate Woods, Michael Nankin
Avec Ethan Hawke, Joshua caleb Johnson, Nick Eversman, Beau Knapp, Maya Hawke, Mo Brings Plenty, Jack Alcott, Ellar Coltrane, Hubert Point-Du-Jour…  

L’Oiseau du Bon Dieu de James McBride, disponible en poche chez Gallmeister / Totem - trad. François Happe, 480 p, 11.50 €

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